L’architecture par le haut [4/5]
Et si le salut de l’architecture ne résidait pas uniquement dans un ancrage au sol (le sacro-saint local) mais aussi dans les airs ? Dans cette chronique en cinq actes, l’architecte Stéphane Maupin explore les mondes possibles ouverts par la démocratisation des drones et autres engins volants.
Sortir l’architecture par le haut
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Stéphane Maupin
Les nouveaux trafics entraîneront une redéfinition des modèles résidentiels qui s’adapteront aux rotations des eVTOL. Ils le devront d’autant plus qu’une autre révolution des procédés s’enclenche à travers les maisons imprimées [1] par coulage de lits de béton, supprimant ainsi toute angulosité aux ouvrages, et ainsi éradiquant les ponts thermiques structurels. La forme et la fonction seront plus que jamais décorrélées, l’habitat entrant dans une zone d’une figuration inconnue. Nous sommes à cet instant enthousiasmant où mœurs, technologies et usages s’associent pour basculer dans un nouveau répertoire d’expression.
Cette conjonction s’illustre avec l’un de nos plus grands visionnaires, Franck Lloyd Wright. En 1932, il proposait ‘Broadacre City’, un modèle de ville contredisant les standards de l’époque, en reformulant le modèle économique, social et politique de la ville. Le génie n’aimait pas les métropoles. L’anecdote raconte qu’il ne voulait pas dessiner son galactique musée Guggenheim tant il détestait New York [2]. ‘Broadacre City’ est respectueuse des ressources, des paysages et des hommes en abolissant les frontières entre la nature et la ville dans une économie coopérative. Au sein de ce nouvel eldorado, la machine est mise au service de l’humain et des forces créatrices [3]. Ainsi, l’horizon de la nouvelle cité est constellé d’engins volants, mélange de ‘Flying saucer’ [4] à antennes et de toupies volantes [5], les aérators. Wright comprend tout de suite l’imminence de l’hélicoptère. Si Léonard de Vinci l’anticipe dès 1487 à travers une vis aérienne, il est élaboré entre des mains françaises [6] en 1861, pour se formaliser [7] à partir des années 1930. Wright l’absorbera immédiatement dans ses dessins. Il transfère cette percée aéronautique à son utopie urbaine, lui conférant ainsi un caractère révolutionnaire.
L’hélicoptère devient en vogue, voire symbole d’élévation de la condition humaine.
Bien avant Guy Rottier et sa caravane de vacances volantes [8], un médecin farfelu, le Dr Jean Saidman [9], fit construire en 1930 un Solarium [10] tournant à Aix-les-Bains, pour une utilisation thérapeutique des rayons du spectre solaire. Soit une plateforme de 80 tonnes et de 25 mètres de long qui tourne comme une grande pâle au sommet d’une tour de 16 mètres de haut pour offrir aux patients la meilleure exposition possible au soleil. Les lits étant aussi inclinables et placés sous des lentilles qui concentrent les rayons du soleil.
La sortie de la Seconde Guerre mondiale voit arriver l’avion à réaction en transporteur commercial. Les progrès aéronautiques vont initier une effervescence architecturale. La période ‘Populuxe’ [11] révèle son chef d’œuvre, le ‘Theme Building’ [12], en 1959, à l’entrée de l’aéroport de Los Angeles. Sa forme iconique, mélange d’arcs et de plateforme tournante, viendra rappeler pour toujours que la ville américaine est une ‘des plus jeunes et plus influentes villes du monde’ [13]. Sa rivale ancestrale de la côte Est, New York, relèvera le défi en voyant Eero Saarinen ériger, en 1962, le TWA Flight Center. Soit un terminal de l’aéroport international John F. Kennedy. Le bâtiment utilise la souplesse du béton pour créer un endroit singulier, tout en fluidité, pour rappeler que le voyage dans l’aérien s’effectue aussi dès le sol. L’ouvrage adopte la figure d’une raie Manta géante déployant ses deux grandes ailes pour accueillir les voyageurs.
Dans ce sillage du biomimétisme et de la conquête spatiale, un architecte français, Jacques Rougerie, s’illustre en 1977 en travaillant pour la NASA [14] afin d’établir un village sous la mer. Il dessine des maisons-pieuvres, une tour coquillage, des gradins-nageoires. L’univers est tellement audacieux qu’il inspira en cinémascope la retraite du méchant Karl Stromberg [15] dans un film de James Bond.
Plus récemment, Rem Koolhaas se penchait sur le projet de la gare de ZeeBruge, une gare ferroviaire belge située sur le territoire de la ville de Bruges, en Région flamande. En 1988, l’architecte propose un outil qui va être le premier à tenter la convergence de tous les flux disponibles en un point (routiers, ferroviaires, navals) dans une plastique inédite. Les compagnies de ferries britanniques proposent de rendre la traversée plus excitante. Non seulement les bateaux deviendraient des univers de divertissement flottants, mais leurs terminaux perdraient leur caractère utilitaire pour devenir eux-mêmes des attractions. Cette volonté injecterait un nouveau « signe » dans un paysage qui, par sa seule échelle, rendrait tout objet à la fois arbitraire et incontournable. Soit « traiter ouvertement les exigences, les ambitions, les possibilités extravagantes et mégalomaniaques de la Métropole ». Pour devenir un repère, ce projet adopte une forme qui résiste aux classements ordinaires grâce à la combinaison d’un maximum d’artifices. L’ouvrage procède du surréalisme en mélangeant librement des ambiances contraires (le mécanique, l’industriel, l’utilitaire, l’abstrait, le poétique [16]).
L’affirmation d’une conception devient entendue pour les pionniers du transport. Virgin Galactic [17] voulait que son port d’embarquement Spaceport, installé dans le paysage désertique du Nouveau-Mexique, articule le frisson du voyage spatial pour les premiers touristes de l’espace à une conscience écologique. L’embarcadère a un impact minimal sur l’environnement. La forme est creusée dans le paysage pour exploiter la masse thermique, qui protège le bâtiment des extrêmes du climat du Nouveau-Mexique et capte les vents d’ouest pour la ventilation. L’utilisation maximale est faite de la lumière du jour via des puits de lumière. Construit avec des matériaux locaux et des techniques de construction régionales, il se veut à la fois durable et sensible à son environnement.
C’est exactement ce que Norman Foster reproduira à la Biennale de Venise en 2016 pour son prototype d’aéroport à drones en vue de la préfiguration du port de drone-cargo de Kibuye au Rwanda.
[1] YHNOVA, maison imprimée en 3D, site Bouygues Construction.
[2] « La ville évanescente de Frank Lloyd Wright », Stéphanie Baffico, Urbanités, 23 juin 2014.
[3] “Frank Lloyd Wright: Broadacre City, la nouvelle frontière”, Catherine Maumi, Éd. de la Villette, 2015.
[4] Soucoupe volante.
[5] Aérators. Nom inventé par F.L Whrigt lui-même.
[6] Les inventeurs français Gustave de Ponton d’Amécourt et Guillaume Joseph Gabriel de La Landelle construisent avec succès leur ‘chère hélice’, petit prototype expérimental d’aérostat « plus lourd que l’air » à rotor contrarotatif à double hélices aériennes coaxiales, et moteur à vapeur bicylindre.
[7] En novembre 1933, Louis Charles Breguet et René Dorand terminent la construction d’un appareil équipé de deux rotors superposés, c’est un hélicoptère coaxial : les deux hélices tournent en sens opposés et peuvent être débrayées en cas de panne moteur.
[8] Collaboration avec Charles Barberis, une caravane hélicoptère présentée au Salon des Arts ménagers à Paris en mars 1964.
[9] Médecin radiologue roumain, né le 19 novembre 1897 à Fälticeni, naturalisé français en 1919, spécialiste de l’actinothérapie.
[10] André Farde, architecte, né le 9 août 1889 à Coulommiers, diplômé de l’école des Beaux-Arts.
[11] Contraction de Populaire et Luxe. Mouvement populaire entre 1950 et 1960 évoquant le luxe à travers les biens de consommations de masse. ‘Encyclopédia of Consumer Culture’, Dale Southerton, 2011.
[12] Bâtiment construit pas les architectes W.Pereira, C.Luckman, W.Becket, P. Revere Williams – 209 World Way L.A, CA 90045.
[13] Selon le ‘Los Angeles Conservancy’.
[14] « Jacques Rougerie, les pieds dans l’eau, la tête dans les étoiles », Christophe Doré, Le Figaro du 29 mars 2013.
[15] L’espion qui m’aimait (The Spy Who Loved Me) est un film britannique réalisé par Lewis Gilbert et sorti en 1977.
[16] www.oma.com, Zeebrugge Sea Terminal
[17] Virgin Galactic est une société aérospatiale lancée en 2004 par l’entrepreneur britannique, fondateur du groupe Virgin, Sir Richard Branson. La firme propose de fournir des vols suborbitaux à des fins touristiques et de recherches.