Le cadavre exquis de Matthieu Poitevin
À l’heure où la loi CAP (Création-Architecture-Patrimoine) suit son parcours législatif et où « Réinventer la Seine », lancé à Rouen le 14 mars 2016, fait suite à l’appel à projet controversé « Réinventer Paris », des architectes s’insurgent contre l’état de la profession en France. Parmi eux, Matthieu Poitevin, fondateur de l’agence Caractère spécial. Tribune.
La question n’est plus de savoir si on a le permis de faire, comme le souhaite notre vieil ami tellement doué pour montrer les évidences, mais comment peut-on encore faire ?
La commande publique se réduit année après année comme peau de chagrin et la commande privée prend peu à peu le pas avec ses règles libérales bien à elle, on ne saurait l’en blâmer. Ils sont dans leur rôle, leur quête est le bénéfice, il en résulte :
– baisse des honoraires motivant le dumping entre agences pour récolter quelques subsides,
– conditions de travail épouvantables,
– mépris de la question architecturale,
– modèle spéculatif et financier devenant la priorité.
La plupart des promoteurs vendent des mètres carrés comme ils vendent n’importe quelle marchandise. La valeur d’usage, le rapport à l’autre, la qualité donnée à l’urbanité sont autant de valeurs qui leur sont, pour la plupart, parfaitement étrangères.
Dès lors, on peut se plaindre de la laideur qui peu à peu gagne du terrain sur nos villes. Les architectes qui acceptent ce système sont les complices égoïstes de l’acculturation citadine.
La récente minuscule polémique sur les honoraires des architectes de « Réinventer Paris » fait mine de faire s’émouvoir un élu, ex-directeur général d’une grosse firme ultra-libérale, mais pas un architecte ne bronche. Pas un seul pour dire que pour une fois, la présidente d’un Ordre inutile et anachronique, qui vit sur une taxe qu’il prélève pour ne rien en faire, a mille fois raison !
(La mafia au moins protège ceux qui paient, nous même pas.)
Pourquoi une telle lâcheté de la part de tout un pan de la profession ?
La peur, la peur d’être puni si on dit ?
Mieux vaut vivre lâche que ne pas vivre du tout.
Devrons-nous accepter de nous taire avant de disparaître tout à fait ? Ce qui ne saurait tarder. Quel est ce syndrome qui pousse les gens à collaborer à leur propre mise à mort ?
Bien sûr que ces architectes ont bossé comme des fous pour quasiment rien dans l’espoir d’un graal très hypothétique. À part de rares exceptions, les promoteurs ne paient qu’une fois assurés de ne pas être « à risque ». Ce sont les architectes qui font leurs propres banques.
Dès lors, il est facile de vérifier que ceux qui s’en sortent sont dans leur immense majorité des architectes qui peuvent s’autofinancer.
L’émergence de nouveaux courants n’est pas dans le renouvellement ou dans l’apparition d’une pensée ou, mieux encore, dans la démonstration d’une pluralité de pensées, mais dans ceux qui sont le plus à même de mettre en place une stratégie marketing pour accéder à une commande stéréotypée.
La qualité ou le sens de la chose construite et une question subalterne : c’est bon pour les autres.
Paris est capitale ; elle montre l’exemple.
« Réinventer Paris » c’était réinventer ce métier. Sacré résultat, l’opération ne réinvente ni la commande ni les architectes, mais démontre combien ce système est pernicieux et contribue à enterrer juste un peu plus vite ce métier fabuleux.
Aujourd’hui, pour émerger, l’architecte devra faire comme son voisin ; les uns copient les autres pour une uniformisation de la commande confondante.
Imaginons un peu qu’il n’y ait plus qu’un seul type de roman en librairie, tous écrit par Marc Levy, que tous les musiciens se mettent à faire de la variété, plus de rock, plus de jazz, plus de soul ou de blues, plus de classique, que du The Voice, talents passés à la moulinette de relooking pour plaire au plus grand nombre. Je ne veux pas être jugé par les Zazie ou Florent Pagny de l’architecture.
Nous avons eu récemment le temps de la double peau, puis celui de la faille chromatique, nous voici dans l’ère de la batavia verticale, plus précisément dans celui de l’arbre alibi, non plus considéré comme un élément vivant et sauvage mais comme un ornement citadin, qui devient au mieux du mobilier urbain.
Comme tout cela est laid, comme tout cela ne durera pas et ne traversera pas le temps.
Nous sommes en train de construire en toute impunité le manteau du cadavre de l’architecture et de nos villes.
Dans les années 80/90, Nouvel était différent de Portzamparc, Chemetoff avait déjà donné, Hondelatte inventait, Seigneur rêvait très sérieusement, Perrault tout petit se prenait déjà pour Dieu et Soler, tapi dans la pénombre comme un félin, s’apprêtait à jaillir. Ils avaient leur mot à dire. Puis Ricciotti faisait briller sa gouaille toute en logorrhée aussi gouleyante qu’incompréhensible, Lacaton et Vassal poussaient les murs qu’ils n’aimaient pas, Bouchain lui continuait de faire « son cirque ». Ils ont toujours leur mot à dire. Sarkozy et Hollande ne sont pas Mitterrand et Chirac et ce nouveau contexte politique a fermé le clapet des architectes non normalisés.
Alors plus rien, surtout ne plus rien déranger, ne plus rien dire ; à quand remonte la dernière chronique d’un architecte dans un journal non spécialisé, ou spécialisé d’ailleurs ?
On a vite fait de remettre encore plus de normes et de règles pour favoriser l’image et la forme plus que le fond. L’avènement de l’image numérique, au lieu de libérer la pensée, l’a formatée.
Je défie quiconque de faire la différence entre tous ceux qui se battent pour avoir leur invitation au MIPIM ou au SIMI.
Hier, un ordi a battu un champion au jeu de go. Je veux bien prendre les paris que, dans peu de temps, les promoteurs peu scrupuleux auront vite fait d’inventer un logiciel pour supprimer enfin ce facteur de risque architectural humain.
Noir c’est noir et il n’y a plus d’espoir.
Il n’y plus d’espoir parce que ça n’existe pas. Il y a le réel parce que c’est là que réside l’imagination.
Il nous faut vivre sans se résigner et croire malgré tout que, tôt ou tard, on laissera à l’architecte le droit encore de dire, de faire et d’imaginer.
Heureusement, on peut toujours rêver.
—
Matthieu Poitevin, le 11 mars 2016.
[iconographie choisie par l’auteur]
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Il est déplorable qu’AA puisse publier des coups-de-gueules si décousus en termes de fond et de formes, et si peu constructifs en termes d’analyses problématiques. Le propos est réducteur voire caricatural, le style est assez bas et surfe sur des généralités partagées par la profession, tout en s’adressant, paradoxalement, à la profession elle-même : mais quel est l’enjeu, quelle est la prise de risque, quel est l’intérêt d’un tel propos ? Je pense au contraire qu’il faut arrêter de se regarder le nombril en se plaignant, et relever la tête, prendre de la hauteur, regarder l’horizon, et très concrètement s’inspirer aussi des autres professions et situations internationales ; pour enfin arrêter de déprimer sur nos petits privilèges perdus, notre petite situation en déclin ; pour pouvoir ré-inventer un métier qui nous convienne et qui fasse sens à échelle sociétale, et en finir avec la tentation d’écrire et de publier des brûlots sans intérêts comme celui-ci.
OUI!…
Les réalisations « modernes » de nos habitats urbains doivent servir de « refuge » et de « vitrine » à la biodiversité…
Il faut amplifier la végétalisation de nos façades, nos balcons, nos toitures et remettre à sa place la plante dans tous les programmes d’aménagements…
Les luttes contre les réchauffements, la pollution, le stress, l’esthétisme de nos quartiers et nos villes passent par la plante dans toute sa diversité variétale et ses palettes de formes et couleurs…
Oui, la ville de demain, est et sera un refuge pour les plantes et les insectes « utiles »…
Les collections végétales amènent des choix multiples et fleurir nos villes c’est aussi accueillir et intégrer les habitants aux évolutions de leur « quartiers »
Le mieux vivre de demain, dépend des décisions et des réalisations d’aujourd’hui!…
Je pourrai faire un livre…
Voir ATPV Concept sur moteurs de recherches…