Le Détour de France
Perchés sur leurs VTT, les douze architectes et designers du Collectif Etc, né à Strasbourg en 2009, ont chatouillé le bitume des routes françaises pendant presque un an à la rencontre « d’expérimentateurs de la ville » pour réaliser avec eux des projets menés hors des sentiers battus, où le citoyen occupe une place centrale. De retour de son périple, la petite troupe a décidé de partager son expérience dans un ouvrage intitulé « Le Détour de France, une école buissonnière » (éditions Hyperville). Entretien.
AA Comment êtes-vous passés d’un projet utopique conçu entre amis, celui du « chantier ouvert », c’est-à-dire ouvert aux habitants autant qu’aux concepteurs, à un projet ancré dans la réalité?
Collectif Etc En faisant ! À partir d’une bonne entente, de la volonté et une envie d’explorer. Ensuite, l’essentiel est de s’accorder sur un point de départ, un instant précis, tous ensemble. Nous avions mis à l’épreuve nos capacités à monter un projet de transformation d’un espace public deux mois avant le départ, à Saint-Etienne, en août 2011. Après 4 semaines de chantier avec les habitants et les passants, nous n’avions plus de doutes. Dans le cadre du concours Défrichez-là, nous avions transformé une friche en espace public appropriable par tous dans le quartier de la gare de Chateaucreux. Nous avions posés les bases du « chantier ouvert », entremêlant actions créatives et programmation culturelle. Pourquoi ne pas aller plus loin et défricher cette manière de faire de l’architecture et de l’aménagement ?
Quelles sont vos références en la matière ? Quid de l’enseignement de Patrick Bouchain ?
Nous avions commencé par des interventions dans la rue, plutôt artistiques, qui nous ont amené progressivement à réaliser des aménagements d’espaces publics, tournés vers les usagers de la ville. Nous nous sommes lancés sans plus d’ancrages théoriques que nos connaissances de projets menés par des « collectifs », comme nous les désignions à l’époque. Certains avaient lu Construire autrement de Patrick Bouchain et nous étions allés donner un coup de main sur un chantier mené par Bruit du Frigo, à la Benauge, ce qui nous avait grandement inspiré. Les références sont aussi arrivées par le biais des rencontres que nous avons faites pendant l’année.
Vous avez donc décidé de partir à la rencontre de ceux qui, comme vous, initient des projets collectifs, conçus sur le terrain, avec les usagers et les habitants. Comment avez-vous défini votre parcours à vélo ? Et pourquoi le choix d’un périple en deux roues ?
Outre son indéniable profil écologique, la bicyclette est un moyen de locomotion dont la vitesse, et de fait, le nombre de kilomètre parcourus, permettent une bonne appréhension et perception du paysage traversé, tout en conservant un rythme honnête pour réaliser un tour de France. Une lenteur efficace. Un moyen de transport qui a contraint l’objectif de rejoindre le sud durant l’hiver et a fixé le sens de notre rotation depuis et vers Strasbourg. Quand nous sommes partis, le trajet était encore une ébauche. Il s’est affiné au grès des réponses à nos demandes de rencontres avec les acteurs que nous désirions interroger, une grosse quarantaine en tout, comme Horizome à Strasbourg, un collectif d’artistes et d’anthropologues, ou encore Zoom à Grenoble, où architectes, graphistes et artistes mènent des actions autour de différents enjeux urbains. Un bon moyen pour en savoir plus sur leur manière de faire la ville, et des opportunités de projets, nées de discussions ou de commandes directes.
Pourquoi avoir choisi de retranscrire votre voyage dans un livre ?
En partant, nous pensions à plusieurs formats de restitution. Nous avons organisé des rencontres en février 2013, appelées « Superville », pour rassembler les groupes rencontrés dans l’année. C’était l’occasion d’augmenter la grandeur de cette nébuleuse de structures et d’acteurs appartenant à cette nouvelle forme, floue certes, mais identifiée, de fabrication de la ville et de ses espaces publics qui procède de manière sensible, réversible, avec ses usagers, en questionnant constamment les manières de faire. Puis nous avons lancé l’écriture du livre, afin de rendre compte de nos actions. Cet ouvrage n’est pas un livre sur le Collectif Etc, mais un ouvrage rendant compte d’un projet. Le Détour de France représente une année de réflexion pendant laquelle notre groupe s’est construit.
Quelle sera la prochaine étape pour le Collectif Etc ?
Paris-Roubaix ? Ou un tour de la Méditerranée en bateau, pour finir à Athènes avec la rédaction d’une nouvelle charte ? Nous y réfléchissons. Pour le moment, nous avons posé nos outils à Marseille. À la fin de notre voyage, nous avons ressenti le besoin d’explorer des formes de projets plus pérennes. C’est ce qui a manqué le plus à ces courts projets, montés sur une ou deux semaines, pendant lesquels nous parvenions à « activer » des espaces et des usages, mais dont l’énergie disparaissait avec notre départ.
Quel est, selon vous, l’impact de ces pratiques participatives au regard du système plus canonique de conception et de réalisation des projets ?
Nous ne sommes pas là pour en mesurer l’impact. L’implication des usagers dans des projets reprend de l’importance depuis quelque temps déjà. Aujourd’hui, les maitrises d’ouvrage publiques sont en demande de nouvelles façons de faire, chacun pour leurs raisons, et parfois pour des raisons éloignées de nos considérations. C’est l’occasion pour nous d’expérimenter, de tester de nouvelles manières de faire et d’explorer de nouveaux contextes. Le terme « participatif » est galvaudé et souvent vicié : des « architectures ouvertes » ou des « tactiques urbaines » sont plus représentatives de nos idéaux. Il s’agit d’un partage égalitaire des tâches, des responsabilités et des choix, qui fait aussi parti du récit de ce livre. •
Contribuer à l’expérience en achetant le livre.
Le Détour de France, éditions Hyperville,15,3 x 23 cm, 208 pages.
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Entretien réalisé par Lola Petit.