« Les animaux et les insectes ont tant à nous apporter »
Emmanuelle Pouydebat, Directrice de Recherche au CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle, spécialisée dans l’évolution des comportements animaliers, partage avec Françoise Raynaud, dans le cadre du hors-série AA – Particules élémentaires– l’émerveillement pour le vivant. « Nous utilisons l’une et l’autre le même vocabulaire », dit-elle. Retour sur l’importance de la bio-inspiration.
Propos recueillis par Jean-Philippe Hugron
Quels sont vos axes de recherche aujourd’hui ?
Mes recherches portent sur la capacité d’adaptation des êtres vivants. J’étudie par exemple l’évolution des éléphants dans leur manière d’utiliser leur trompe afin de se nourrir, se déplacer, d’établir des contacts sociaux. À l’origine, cet organe était tout petit. Il s’est allongé en fonction des milieux géographiques. En outre, une trompe sait aussi bien manipuler un pop-corn qu’elle peut déraciner un arbre. Elle est puissante et précise à la fois, le tout sans os, sans articulations à proprement parler. Ce sujet intéresse la robotique, notamment la robotique molle. La trompe est un modèle de souplesse et de dextérité et une analyse biomécanique sera source d’enseignements. Ainsi, un questionnement biologique peut conduire à une application différente.
Apprenez-vous aussi de l’habitat des espèces que vous étudiez ?
Tout le temps. Avec la vétérinaire et primatologue Sabrina Krief, professeure au Muséum national d’histoire naturelle, nous travaillons par exemple sur les chimpanzés. Ils se soignent du paludisme et s’en protègent grâce à leur habitat. Nous avons en effet constaté qu’il y a moins de tiques et de moustiques au sein de leur nid. Et pour cause, ils utilisent des végétaux aux propriétés répulsives. Nous espérons ainsi découvrir de nouvelles molécules.
Quelles sont les autres passerelles possibles ?
Elles sont si nombreuses ! Pour les transports, les matériaux ou encore l’architecture, l’écologie. Les drones de troisième génération cherchent la miniaturisation. Des travaux sur les libellules montrent leur extrême manoeuvrabilité tout en consommant très peu d’énergie. Si nous restons dans le domaine des transports, les Japonais ont étudié la manière dont le martin-pêcheur plonge à 80 km/h dans l’eau en produisant peu d’éclaboussures ainsi qu’une onde de choc réduite. Cet enseignement a permis d’optimiser la morphologie du Shinkansen, le TGV japonais, de réduire ses nuisances sonores tout en économisant de l’énergie.
Vous évoquiez aussi les matériaux et l’architecture…
Pour les matériaux, je pourrais citer les recherches de Christine Rollard, grande spécialiste des araignées. Leur soie est cinq fois plus résistante que l’acier et elle est très élastique. Ces propriétés ont été utilisées pour créer des gilets pare-balle ou encore, dans un cadre médical, des tendons artificiels. Pour l’architecture, un exemple : l’Eastgate Center au Zimbabwe (conçu par l’architecte Mick Pearce en 1996, ndlr) a été construit sur le principe des termitières. En effet, les termites développent des galeries allant du sous-sol jusqu’au sommet de leur construction. Dans la journée, quand il fait 50°C dehors, l’air chaud est évacué par le haut. À l’inverse, le soir, les galeries souterraines peuvent être comblées pour garder la chaleur interne malgré une température externe de 0°C. Ainsi, l’air au sein de la termitière est maintenu à 30°C, de jour comme de nuit, un enjeu pour la survie des termites qui peuvent ainsi élever des moisissures qui pré-digèreront les feuilles qu’elles consomment.
Quel message souhaitez-vous transmettre, pour conclure ?
La bio-inspiration peut être un atout mais ne doit pas être qu’un business. Elle doit être à l’origine d’un combat pour la sauvegarde de la biodiversité et le respect de la vie. Les animaux et les insectes ont tant à nous enseigner. Certaines espèces, par exemple, ne développent pas de cancer, d’autres régénèrent leurs neurones, le venin peut être source d’antidouleurs puissants, plus efficaces encore que la morphine et sans ses effets secondaires. Des fourmis produisent des moisissures qui sont une souche efficace contre les bactéries. Beaucoup de solutions sont dans la biodiversité. C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain ne l’écoute pas, ainsi que l’écrivait Victor Hugo. Écoutons-la et protégeons-la.
vignette de couverture © CNRS