Coastal Motifs, 2017-2018. Kesennuma bay - Miyagi prefecture © Tadashi Ono / La Villa Kujoyama
Coastal Motifs, 2017-2018. Kesennuma bay - Miyagi prefecture © Tadashi Ono / La Villa Kujoyama

Architecture

Les Murs littoraux du photographe Tadashi Ono

En 2017, le photographe japonais Tadashi Ono parcourt les côtes de la région de Tohoku, au nord-est de Honshu, l’île principale du Japon. Il y découvre la construction, le long des baies d’Iwate, Miyagi et Fukushima, d’un mur « anti-tsunami » de plus de 10 mètres de haut, long de 400 km — dont la livraison est prévue en 2020. La série Coastal Motifs interroge cette barrière, qui scinde de manière brutale le lien entre les habitants et la mer. La série est exposée en ce moment et jusqu’au 21 décembre 2018 à l’Institut français de Tokyo. À cette occasion, AA est allée à la rencontre du photographe.

L’Architecture d’Aujourd’hui : Quel fut le point de départ de ce reportage ?

Tadashi Ono : J’avais déjà réalisé une série photographique intitulée From the 247th to the 341st day, Tōhoku, en 2011-2012, sur le paysage côtier de la région de Tōhoku, huit mois après les trois catastrophes qui ont frappé cette région : le tremblement de terre, le tsunami et l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. Dans ce travail, plutôt que de voir ce triple désastre comme une tragédie nationale — ce qui fut le cas dans la majorité des réalisations photographiques — j’ai préféré l’aborder comme une occasion pour réfléchir aux rapports entre notre civilisation moderne et l’environnement naturel. Avant de parler de la violence du tsunami, le développement urbain engagé depuis le début du XXe siècle, en transformant le littoral de manière brutale et risquée, n’était-il pas lui-même une violence anthropocentrique ?

Après avoir achevé ce travail, je suis resté attentif à l’évolution de cette région, bercée par la fanfare nationale de la « reconstruction ». Lorsque j’ai appris la construction de gigantesques digues vers 2015, l’idée de revisiter la région est devenue plus concrète. Je voulais surtout revoir Taro, une petite ville de la préfecture d’Iwate, où se trouve la plus grande digue du Japon (voire du monde, dit-on) qui fut à moitié détruite par le dernier tsunami en 2011.

Tadashi Ono, lors Les Rencontres de la photographie, Arles, 2012. Exposition «Du 247E au 341E jour Tohoku» © Benjamin Mouly
Tadashi Ono, lors des Rencontres de la photographie, Arles, 2012. Exposition Du 247E au 341E jour. Tohoku. © Benjamin Mouly

AA : Vos photographies semblent à la fois dénoncer et esthétiser ce monument urbain. Souhaitez-vous leur faire porter un message particulier ?

TO : Je ne suis pas photo-journaliste. Je crée des documents photographiques qui décrivent notre environnement transformé par l’activité humaine. Mes « paysages » sont des « représentations de représentations préexistantes », en rapport avec plusieurs strates d’histoires : l’histoire de l’art, de la photographie, de l’architecture, l’histoire sociale, l’histoire naturelle etc. Je n’ai pas l’intention de dénoncer ces structures. J’informe de ces apparitions dans l’environnement en décrivant ces motifs littoraux (d’où le nom de la série, Coastal Motifs) qui composent les paysages maritimes du Japon d’aujourd’hui. Je ne cherche pas non plus à esthétiser ces monuments, bien que leurs formes soient parfois fascinantes. Je cherche tout simplement à traduire, en me référant aux peintures des XVIIe et XVIIIe siècles, la beauté du paysage de cette région, avec l’intrusion de ces murs-ovni.

Je n’ai aucun message particulier à faire passer à travers mes images. Cependant, je porte celui de certains Japonais qui ont construit ces monuments. Un message inédit de la part d’une nation maritime : le refus du dialogue avec l’océan qui l’a fait vivre durant 2 000 ans.

 

AA : Avez-vous eu l’occasion de recueillir la parole des habitants ainsi coupés de la mer ? Que pensent-ils de ce mur ?

TO : La majorité des habitants, les pêcheurs ou les gens qui vivent du tourisme, est contre. Ils ne sont pas sûrs que cette digue anti-tsunami sera efficace lors du passage d’un prochain grand tsunami. On évoque notamment trois raisons contre la construction de cette digue. Premièrement, construite sans évaluation sur l’impact écologique, cette digue risque d’endommager considérablement l’écosystème du littoral, duquel dépendent les industries locales, notamment la pêche et le tourisme. Ensuite, la digue nous donne un faux sentiment de sécurité et nous fait perdre l’instinct et la connaissance sur tsunami. L’histoire nous conseille de s’échapper vers la hauteur en cas de tremblement de terre — le tsunami arrive une demi-heure plus tard — or cette digue risque de nous faire rester près de la mer en cas d’alerte. Enfin, qui va payer son entretien, nécessaire au bout de 30-40 ans ? Construite avec le budget de l’État au nom de la reconstruction, la digue devra désormais être entretenue par les communes, déjà affaiblies économiquement.

© Tadashi Ono - Villa Kujoyama
© Tadashi Ono – Villa Kujoyama

Coastal Motifs, 2017-2018. Ofunato bay – Iwate prefecture.

© Tadashi Ono - Villa Kujoyama
© Tadashi Ono – Villa Kujoyama

Coastal Motifs, 2017-2018. Miyako bay – Iwate prefecture.

Villa Kujoyama © Tadashi Ono_Villa Kujoyama

Coastal Motifs, 2017-2018. Kesennuma bay – Miyagi prefecture.

Exposition Tadashi Ono «COASTAL MOTIFS», Institut français du Japon - Tokyo, 2018.
Exposition Tadashi Ono «COASTAL MOTIFS», Institut français du Japon – Tokyo, 2018.

Vue de l’exposition, en ce moment à l’Institut français du Japon, Tokyo.

Exposition « Coastal Motifs », de Tadashi Ono
du mercredi 21 novembre au vendredi 21 décembre 2018
Galerie de l’Institut français du Japon – Tokyo

Propos recueillis par Anastasia de Villepin

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