Vue aérienne de Quito, Équateur ©Jaime Dantas
Vue aérienne de Quito, Équateur ©Jaime Dantas

Tribune

Les trois petits cochons

« À quoi est dû le regain d’intérêt actuel pour les friches industrielles ? Que devrait être la ville à venir ? », l'architecte Matthieu Poitevin s'interroge.

Nous la voulons durable, piétonne, accueillante, habitable. Ces termes sont souvent utilisés pour brosser un tableau de notre avenir urbain préféré. Pourtant, la notion formelle de ville est assez calcifiée ; c’est lourd, maladroit et inflexible. La ville des marchands réduit l’espace public à des tapis hygiénistes, les vis-à-vis sont interdits parce qu’ils sont peu vendeurs, les rez-de-chaussée inexistants parce que le petit commerce rapporte peu. Ils sont transformés en locaux d’activités dans lesquels il ne se passe pourtant jamais rien. La notion même de rue, colonne vertébrale des villes, est remise en question.

En construisant des quartiers entiers, en éradiquant le passé, les marchands de villes sont en train de l’effacer en toute impunité.

Les villes d’aujourd’hui manquent de la souplesse nécessaire pour absorber les nouvelles possibilités radicales. Et si les solutions se trouvaient dans le lieu le plus improbable ? Les bidonvilles sont invivables, c’est entendu et il n’est pas question ici d’en faire l’éloge. Mais l’espace informel, départi de règle édictée, crée aussi un espace à partir duquel une nouvelle vision de la vie urbaine peut émerger. L’anti-charte d’Athènes des Quito Papers and the new Urban Agenda (UN-Habitat, Richard Sennett avec Ricky Burdett et Saskia Sassen, en conversation avec Joan Clos, Routledge, 2018) est une ode à la liberté. La position ainsi formulée par Saskia Sassen, Ricky Burdett et Richard Senett est le résultat d’un raisonnement collectif. Il ne s’agit plus d’une pensée portée par un seul être démiurge définissant son propre territoire mais du champ commun qui se dessine entre des positions distinctes mais convergentes.

Plutôt que de dire la ville, cette initiative semble à même de la faire. Une ville non plus rationalisée et organisée mais organique et complexe. Cette ville inadaptée au capitalisme moribond propose des qualités d’une économie informelle. La ville qui en découle n’est pas esthétique mais structurelle. Ou de la différence entre l’esthétisme de façade et la beauté émergeant de l’intérieur. Le fonctionnement optimal constitue l’essence même du phénomène urbain actuel. À l’opposé, la thèse esquissée par les Quito Papers repose sur l’idée qu’un fonctionnement complexe, moins optimal, est plus à même d’engendrer des rapports sociaux et économiques durables.

La charte d’Athènes crée des villes mortes. Les Quito Papers prônent la ville en vie.
Les fragments résiduels de cette ville organique se trouvent sans doute dans les friches industrielles. Lorsqu’elles sont abandonnées, abîmées, meurtries, elles laissent à penser que rien n’y est possible. Ce qui pourrait se traduire par : « aucun programme marchand ne peut s’y adapter ».
Comment ne pas penser dorénavant que construire du neuf est une hérésie écologique ? Le béton, l’acier ont des empreintes carbone épouvantables, le bois est cher et a des limites structurelles. Il nous reste la paille mais peut-être pouvons-nous vivre autrement que les 3 petits cochons.

Être architecte est une contradiction. C’est ériger des murs pour permettre de libérer les espaces. Certains continuent de se battre pour ouvrir des brèches, créer des failles. La marge qui nous est laissée aujourd’hui pour rendre les choses possibles est réduite à peau de chagrin, inexistante sauf exception. Il ne faut plus que le récit soit l’exception, il doit devenir la règle pour une raison et une seule : un récit se transmet, un rapport non !
Pouvoir dire la ville, c’est pouvoir la faire et surtout c’est pouvoir la transmettre et ainsi lui offrir un avenir.

La ville est devenue un lieu offert à des marchands de surfaces, quand nous devrions imaginer des endroits de possibles. Il n’y a plus rien de possible dans un programme gras et cynique où l’inattendu est interdit, le risque banni et la création confinée. Continuer ainsi revient à suicider l’architecture ; à se suicider en tant qu’architecte.

La responsabilité est grande pour permettre à demain d’advenir.
Sans architecture, la ville n’existe pas. Il est temps de redonner sa noblesse à ce métier.
Comment continuer ? Peut-être que ce qui était jusqu’à présent chuchoté doit être maintenant affirmé avec force.
Peut-être que le deuxième cycle des écoles devrait être pensé comme des plateformes de recherches, des ateliers pratiques et non plus des salles d’exercices théoriques. Peut-être que le travail demandé devrait porter uniquement sur des cas concrets sans brider l’audace. Peut-être le temps est-il venu de considérer l’école comme l’antichambre de la ville de demain et plus comme le vestibule de la production architecturale d’aujourd’hui, voire d’hier.

L’association « Va jouer dehors » que j’ai créée, veut être une plateforme de propositions concrètes, en dehors du champ spéculatif comme seule alternative. C’est une plateforme partagée, transdisciplinaire dont le but est de faire en sorte que l’architecte redevienne le maillon essentiel du projet, que l’architecture soit à nouveau reconnue d’utilité publique, libre de faire, libre de pensée et de penser, osant risquer et s’aventurer sur des pistes inattendues.

Nous proposons des think do accompagnés par des élus, des promoteurs, des financeurs mais qui sont ici des accompagnateurs et pas des commanditaires. Il s’agit de renverser les rôles, plutôt de remettre les choses dans l’ordre : les créateurs pensent et proposent, les outilleurs tentent de suivre la locomotive. Ça ressemble donc à ce que pourrait être exactement un Master dans une école d’architecture : des conférences théoriques, des interventions artistiques, des simulations de projets prospectifs mais ancrés sur des cas et des problématiques réels, auprès d’interlocuteurs professionnels cette fois « à la botte » des architectes, étudiants et enseignants, émancipés des autorités financières.

Une autre alternative est de maîtriser le foncier. Les foncières citoyennes comme BELLEVILLE sont entrain de proposer des alternatives au « tout promoteur », en faisant le choix de limiter leur marge bénéficiaire pour privilégier le sens du projet, et en mixant plus facilement les usages. Leur ambition est de parvenir à réhabiliter l’existant et pas de construire en neuf, ce qui en fait la posture la plus adaptée à la ville à venir, la seule crédible en fait en termes d’empreinte carbone et de transition écologique. La SCIC 9.3-0 n’est pas une foncière mais use d’un montage juridique qui lui permet de bénéficier de fonds publics et privés. Elle souhaite créer des biens communs culturels, c’est-à-dire des lieux qui mêlent l’art et la société, et favorisent l’engagement citoyen.

Ce type de structure est de plus en plus répandu et finira sans doute par proposer une alternative crédible au système spéculatif actuel. En plus de remettre le citoyen au cœur du jeu, il propose une création où chaque cas devient un cas particulier et où la ville retrouve une réelle identité.

Dès lors, se pourrait-il qu’il y ait un nouveau type de ville qui conviendrait mieux à ce siècle et que, pour une fois, nous ne soyons plus à la traîne des événements qui ne peuvent pas être contrôlables ? Une ville plus adaptative que jamais.
Et si l’avenir de nos villes pouvait provenir de la refonte des taudis ou des ruines que l’on considérerait autrement ?

La création est un acte de désobéissance totale à l’ordre des choses pour qu’elles deviennent autre chose. L’avenir n’est pas dans le neuf, il est dans ce qui existe, il est dans la transformation du passé.

Matthieu Poitevin


Le site web de L'Architecture d'Aujourd'hui accueille les propos de tous ceux qui souhaitent s'exprimer sur l'actualité architecturale. Les tribunes publiées n'engagent que leurs auteurs.

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  • Scd, the , wrote:

    Tribune très juste. Merci Mathieu
    « Creativity is intelligence having fun », Einstein .