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Logement : ce que la France peut apprendre du modèle britannique

La France est reconnue pour son vaste parc de logements et forte de son histoire riche et continue de construction. Malgré une population plus réduite, elle possède plus de logements que le Royaume-Uni (37,2 millions contre 25,2 millions) mais aussi plus de logements sociaux (5,3 contre 4,1 millions). Si le modèle français de logement n’a rien à envier à son voisin britannique, ce dernier offre des approches innovantes qui méritent d’être explorées. Il est ainsi intéressant de regarder outre-Manche pour en tirer quelques leçons.


Marie de Bryas
Architecte et co-directrice de l'antenne française de l'agence britannique Stephen Taylor Architects

Depuis l’ère Thatcher (1979-1990), le Royaume-Uni a connu une baisse significative de la construction de logements sociaux. Cependant, au cours des 15 dernières années, deux réformes majeures ont permis de renverser cette tendance. En premier lieu, le Localism Act de 2011, qui a donné aux autorités municipales britanniques la possibilité de créer des organismes autonomes spécialisés dans la création de logements. Cette réforme a décentralisé le pouvoir de décision, ce qui a permis une meilleure adaptation aux besoins locaux. Deuxièmement, la self financing reform, une réforme du gouvernement de coalition en 2012, qui a transformé le système de financement des logements sociaux. En effet, elle a permis aux conseils municipaux d’emprunter davantage, et d’augmenter les revenus provenant des logements en conservant les loyers et les recettes des ventes de leurs biens immobiliers. En échange, ces conseils ont assumé une plus grande responsabilité vis-à-vis du logement dans leur localité. Ces deux réformes, ainsi qu’une diversification des types de logements abordables, ont conduit à une renaissance de la construction de logements sociaux par les municipalités, en particulier à Londres. Cette revitalisation s’est traduite par une augmentation notable du nombre de logements sociaux construits, offrant à la France un exemple d’approche alternative à explorer.

Une approche énergétique différente

L’un des aspects les plus marquants du modèle britannique est l’accent mis sur une approche énergétique durable tout au long de la vie des bâtiments, et non uniquement pendant leur construction. En France, les efforts ont tendances à se concentrer sur les économies d’énergie au moment de la construction (que ce soit à travers l’utilisation de matériaux bas carbone ou le réemploi). A contrario, l’approche britannique propose une vision plus holistique qui intègre aussi le carbone opérationnel, c’est-à-dire l’empreinte carbone créée par la consommation d’énergie pendant la phase d’utilisation d’un bâtiment. On peut prendre comme exemple Goldsmith Street, projet lauréat du Stirling Prize en 2019, par l’architecte Mikhail Riches, qui propose plus de 100 logements sociaux passifs. Ce projet illustre comment une conception intégrée, tenant compte de la durabilité à long terme, peut non seulement réduire les coûts énergétiques, mais aussi améliorer la qualité de vie des résidents. De plus, le Royaume-Uni, et particulièrement l’Écosse, a adopté des mesures législatives pour promouvoir les maisons passives. Le gouvernement dévolu de l’Écosse prévoit que d’ici la fin de 2024, tous les nouveaux bâtiments résidentiels respecteront les normes Passivhaus ou un standard équivalent. En France, bien que la réglementation environnementale RE 2020 vise à améliorer les performances énergétiques, les exigences restent moins strictes, se concentrant davantage sur la réduction de l’empreinte carbone au moment de la construction plutôt que sur la phase d’utilisation des bâtiments. Intégrer une approche similaire à celle de l’Écosse pourrait permettre à la France d’améliorer encore ses performances en matière d’efficacité énergétique à long terme.

Mikhail Riches, Goldsmith Street, Norwich, 2019 © Tim Crocker via le site des architectes
Une échelle différente dans la construction

Le Royaume-Uni se distingue également par son approche à deux niveaux dans la construction de logements : l’utilisation de très petits sites urbains et la création de grands plans directeurs. La désindustrialisation de nombreuses villes a libéré de nombreux terrains, notamment au cœur des centres urbains. Bien qu’ils ne représentent que 9 % du territoire, ces sites ont contribué à plus de 54 % des nouveaux logements en 2022, illustrant leur importance croissante. Ce phénomène est accentué par la volonté de densifier les villes britanniques, historiquement plus étalées que la plupart des autres villes européennes. De surcroît, face à un manque de liquidité, les conseils municipaux préfèrent maximiser l’utilisation de leur portefeuille de terrains existants, ce qui a conduit à l’émergence de nombreux petits projets.

Par exemple à Lewisham, un quartier du sud de Londres, l’autorité locale a entrepris un programme ambitieux d’exploitation de petits sites pour créer des logements sociaux ainsi que des logements abordables, transformant de ce fait des terrains sous-utilisés en nouvelles habitations. En collaboration avec l’agence RcKA, le conseil municipal a identifié une série de sites en dessous de 50 m2 capables d’accueillir 3 790 logements, soit 22 % de leur objectif total. [La publication est consultable en ligne. NDLR] Ce type de projet démontre comment une utilisation intelligente de petits espaces urbains peut contribuer de manière significative à répondre à la demande en logements tout en revitalisant des quartiers existants.

De plus, les Britanniques n’hésitent pas non plus à concevoir des projets d’envergure grâce à de grands plans directeurs. Cette approche est facilitée par la densité relativement plus faible de Londres par rapport à Paris, qui offre plus de flexibilité pour des réaménagements à grande échelle. Des quartiers entiers ont récemment émergé dans la capitale britannique, transformant le paysage urbain et créant de nouvelles communautés. Un exemple emblématique de cette stratégie est le développement de Nine Elms, un vaste projet de réaménagement qui s’étend le long de la rive sud de la Tamise. Ces projets doivent leurs succès a des partenariat public-privé, plus rares en France. En France, les grands projets urbains existent également, mais ils sont souvent plus fragmentés et moins étendus en comparaison. Par exemple, un projet comme Paris Rive Gauche illustre comment la capitale française réaménage des zones spécifiques, souvent sur d’anciens terrains industriels ou ferroviaires.

Design participatif et participation des communautés

Le Royaume-Uni s’est engagé très tôt dans l’intégration du design participatif et de la participation des communautés. Aujourd’hui, pour obtenir un permis de construire d’un projet de grande taille (dix maisons ou plus), il est obligatoire de démontrer que la communauté locale a été consultée et que ses opinions ont été prises en compte. Ce processus est particulièrement important dans les projets qui s’intègrent dans des domaines de logement sociaux existants. Des activités telles que les promenades participatives, les maquettes interactives, les expositions publiques, la nomination de délégués communautaires pour dialoguer avec l’équipe de conception, ou des questionnaires sont souvent utilisés pour recueillir les avis des résidents et les intégrer dans le processus de conception. En France, bien que l’intégration du public dans le processus de conception soit plus récente, on observe une adoption croissante de ces pratiques. Par exemple, lors des révisions de Plans Locaux d’Urbanisme (PLU), de nombreuses municipalités organisent désormais des ateliers participatifs, des enquêtes publiques ou des consultations en ligne pour recueillir les avis des citoyens. Cette tendance témoigne d’une volonté croissante de s’aligner sur les pratiques britanniques en matière de participation communautaire, pour garantir que les projets de développement répondent aux besoins et aux attentes des habitants locaux.

Conclusion

Qu’il s’agisse de l’adoption d’une approche énergétique durable ou de la mise en œuvre de grands projets urbains intégrant les communautés locales, les réformes britanniques démontrent une capacité d’adaptation aux défis modernes du logement. Bien que la France possède un solide patrimoine en matière de construction, l’intégration de certaines de ces pratiques pourrait renforcer encore plus son parc de logements et répondre aux besoins changeants de la population. En s’inspirant des succès britanniques, la France peut améliorer ses stratégies de développement urbain pour créer des environnements de vie plus inclusifs, durables et adaptés aux attentes des résidents.


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