© Jean-Pierre Dalbéra on Wikicommons
© Jean-Pierre Dalbéra on Wikicommons

Tribune

Victoire pour Mallet-Stevens

Après deux ans d'une longue bataille juridique, les membres de l'association Mont 14 et les habitants de l'immeuble du 7 rue Méchain à Paris ont obtenu gain de cause. Le tribunal administratif de Paris a rendu sa décision d'annuler le permis de construire d'un nouvel immeuble de trois étages qui aurait pu nuire à l'œuvre de l'architecte Robert Mallet-Stevens. « Une victoire patrimoniale ».

AA reproduit ici le texte rédigé par Maurice Culot, architecte et spécialiste de l’œuvre de Mallet-Stevens, à propos de cette décision. 


En 1928, l’architecte Robert Mallet-Stevens (1886-1945) projette un immeuble au 7A de la rue Méchain dans le 14e. L’immeuble à appartements, le seul construit par l’architecte, est remarquable et se compose de logements et d’ateliers d’artistes, dont celui de Tamara de Lempicka. Toutes les façades ainsi que le jardin et d’autres parties de l’immeuble sont inscrits au titre des monuments historiques.

Le 11 mars 2021, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture a donné un avis favorable au classement des parties inscrites et un vœu de classement de la totalité de la construction et des intérieurs.

La composition architecturale s’articule autour d’un jardin intérieur de style cubiste et inspiré par la Sécession autrichienne (l’architecte était un familier de l’hôtel Stoclet à Bruxelles). Des buis taillés en forme de cônes scandent le cheminement vers l’entrée de l’immeuble située en fond de jardin. L’architecte oppose les plans verticaux et les plans horizontaux qui se posent en écho de la haute fenêtre verticale qui éclaire la cage d’escalier qui se mue la nuit tombée en une spectaculaire fontaine lumineuse. Comme toujours chez Mallet-Stevens le dessin du jardin est intimement associé à l’architecture.

Il y deux ans, les assurances Mutuelles MMA ont décidé d’abattre les constructions R + 1 adossées au mur de jardin mitoyen pour édifier un immeuble de trois niveaux. Ce projet qui dénature entièrement l’ambiance du jardin et de l’architecture a cependant reçu l’aval de l’architecte des bâtiments de France et, dès lors, le permis a été accordé par la Ville de Paris et la MMA a réalisé son projet. Les habitants de l’immeuble et l’association Monts 14, assistés par l’avocate Joëlle Mouchart, ont mené une bataille juridique qui a duré plus de deux années et qui vient de trouver son dénouement dans un jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 19 mars 2021.

L’architecte des bâtiments de France est désavoué par le tribunal au terme d’une analyse particulièrement fine et pertinente du travail de la lumière et des volumes dans l’œuvre de Mallet-Stevens. 

« Il ressort des pièces du dossier que la surélévation d’un étage de l’immeuble situé en cœur de parcelle, autorisée par le permis de construire, augmentera l’encaissement du jardin et aura une incidence sur les effets de lumière alors que le volume que constitue ce jardin et ces effets de lumière sont des éléments essentiels de l’œuvre telle qu’elle a été conçue par Robert Mallet-Stevens. »

Le tribunal cite les mesures cosmétiques préconisées par l’Architecte des Bâtiments de France « dans le but d’harmoniser les deux bâtiments » mais il observe que « ces prescriptions ne sont pas de nature à atténuer le bouleversement de l’équilibre entre les lumières et les volumes pour lesquels le jardin conçu par Robert Mallet-Stevens et protégé au titre des abords joue un rôle déterminant. »

Le tribunal conclut que : « le projet porte atteinte à des parties d’un immeuble inscrites au titre des Monuments historiques et dans le champ de visibilité duquel il est situé. Des lors, en donnant un avis favorable à ce projet, l’architecte des bâtiments de France a commis une erreur d’appréciation et le permis qui a été délivré au vu de cet avis illégal méconnaît les dispositions du code du patrimoine. » *

Les juristes se réjouiront du contrôle de la matérialité des faits auquel le tribunal a accepté de procéder pour déjuger l’ABF. Les critiques d’art se réjouiront de voir l’analyse artistique d’une œuvre faire une entrée d’une telle qualité dans les prétoires.

Le jugement précise enfin que « l’illégalité, dont le permis de construire est entaché, n’apparaît pas susceptible d’être régularisée », ce qui signifie qu’un permis modificatif serait impuissant à rendre légale la construction. Il en résulte que le permis accordé par la maire de Paris le 22 mai 2018 est annulé et que la MMA et la Ville de Paris sont solidairement condamnées à verser une petite indemnité de procédure aux copropriétaires. La MMA peut encore se pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat, mais la demande de démolition de l’immeuble indûment construit peut désormais être introduite.


Maurice Culot
Architecte
Spécialiste de l’œuvre de Mallet-Stevens

 © Fanfwah | Jean-Pierre Dalbéra on Wikicommons
© Fanfwah | Jean-Pierre Dalbéra on Wikicommons


Le site web de L'Architecture d'Aujourd'hui accueille les propos de tous ceux qui souhaitent s'exprimer sur l'actualité architecturale. Les tribunes publiées n'engagent que leurs auteurs.
* extraits du jugement TA Paris n° 1823677/4-3 du 19 mars 2021.
 

React to this article