Tribunes

Reconstruction de Mayotte : s’engager dans de bonnes directions

Le samedi 14 décembre, le cyclone Chido dévastait l’archipel de Mayotte, rouvrant les nombreuses plaies dont souffre ce territoire formant le plus pauvre des départements français. Sur ces îles où prévalent l’habitat précaire (où réside le tiers de la population mahoraise) et les infrastructures vétustes – sinon inexistantes –, 77 % des Mahorais vivent en-dessous du seuil de pauvreté (INSEE, 2018). Tandis qu’au lendemain de la catastrophe, les habitant·es étaient à pied d’œuvre pour reconstruire leurs maisons à partir de matériaux récupérés – et dont l’obsolescence leur est, hélas, d’ores et déjà connue –, le Premier ministre François Bayrou, inspiré par le chantier pharaonique de Notre-Dame, annonçait une reconstruction éclair de Mayotte. Dans cette tribune libre, Cyrille Hanappe, Dominique Tessier, Nathalie de Loriol, Ludovic Jonard et l’association Architectes des Risques Majeurs répondent à ces promesses hasardeuses en y confrontant leur expérience du territoire mahorais et leur connaissance des politiques d’aménagement.


Cyrille Hanappe, Dominique Tessier, Nathalie de Loriol et Ludovic Jonard

© European Organisation for the Exploitation of Meteorological Satellites (Attribution or Attribution), via Wikimedia Commons

« Pont aérien », « plan Marshall », « reconstruire Mayotte en deux ans », « habitations préfabriquées », « disparition des bidonvilles »… Serions-nous revenu·es dans les années 1950 ? Toutes les annonces faites par le président de la République et son Premier ministre depuis les ravages de l’ouragan Chido rappellent un monde où les promesses de la modernité semblaient à même d’offrir un avenir radieux aux populations du monde entier, un monde où la puissance publique était au fait de sa vigueur et dont personne ne doutait de son dévouement entier au bien public et au progrès social…

Une semaine après l’ouragan Chido, une grande partie des bidonvilles de Mayotte ont déjà été reconstruits par leurs habitant·es ; si leur état est encore plus dégradé qu’auparavant, ils assurent à leurs habitant·es un abri précaire qui les protège des caprices climatiques, incessants à cette saison. Les pouvoirs publics se sont pourtant empressés d’annoncer que ces habitations seraient rapidement détruites, s’annonçant ainsi aussi cruels et destructeurs que la tempête.

On ne rappellera jamais assez que toutes les enquêtes montrent que les bidonvilles de Mayotte sont peuplés par un tiers de Français, un tiers d’étrangers qui ont des papiers (et donc insérés dans le monde du travail) et un tiers de sans-papiers. Le problème du mal logement concerne donc tout le monde à Mayotte.

Si 10 000 logements sociaux avaient été promis pour l’île à l’horizon 2030 par les pouvoirs publics en 2020, moins de la moitié sont actuellement engagés au stade d’études, avec des temps de réalisation qui forcent à penser que ces objectifs ne seront pas atteints. Quand bien même ils le seraient, il en manquerait encore au moins le triple pour loger tous les Mahorais qui vivent en logement insalubre.

Le contexte a changé, y compris dans le monde « tiers », et si le monde est plus riche qu’il ne l’a jamais été, les inégalités ont augmenté dans les mêmes proportions : le nombre de réfugiés et d’exilés sur la planète dépasse désormais les 120 millions, et le modèle urbain qui connaît le plus grand développement est celui du bidonville. Le réchauffement climatique contribue largement à l’aggravation de ces problèmes et impose à tous des manières de faire différentes alors que l’accès aux ressources est de plus en plus complexe et que le nombre de phénomènes climatiques extrêmes se multiplie.

Le même président de la République a expliqué aux Mahorais que s’ils n’étaient pas en France, ils seraient « 10 000 fois plus dans la merde ». On peut douter de cette affirmation quand la proportion des 40% de la population vivant en bidonville est comparable à celle des pays les moins avancés, que ces mêmes bidonvilles présentent des conditions de vie parmi les pires du monde et que les solutions engagées actuellement par les gouvernants sont à l’opposé de toutes les politiques mises en place par les organisations humanitaires internationales fondées sur l’aide inconditionnelle pour tous et la mise en place de solutions individualisées et efficaces.

Il serait heureux que le gouvernement, au lieu de vouloir répéter les erreurs qui ont amené à la situation présente, se tourne vers les seuls modèles qui permettent de dépasser, pas après pas, les problèmes de mal-logement qui se présentent à Mayotte. C’est dès les années 1990 que les pays d’Amérique Latine (auxquels on pourrait joindre la Martinique sous l’égide de Serge Letchimy) se sont engagés dans des politiques de résorption des bidonvilles – qui ne reposent plus sur la destruction simple de quartiers entiers sans propositions réelles de relogement dans des habitations adaptées aux modes de vie de leurs habitants. Loin des solutions simplistes et massives, c’est par l’accompagnement individualisé des habitants vers l’amélioration progressive de leurs logements, par le confortement des quartiers, des cheminements et des espaces publics, par la mise en place de réseaux d’eau, d’électricité et d’assainissement, et par la sécurisation foncière, que les bidonvilles de Medellín, de Mexico ou de São Paulo sont peu à peu sortis de leur statuts de bidonvilles pour devenir des quartiers intégrés de leur villes. Comme tout un chacun, les habitant·es des bidonvilles sont inscrit·es dans un environnement économique et social qui leur assure une stabilité et des cadres de vie leur permettant d’associer vie familiale, activités économiques domestiques et micro-agriculture (jardin potager et animaux de basse-cour) ; un subtil équilibre qui leur permet de tenir un mode de vie qu’ils peuvent tenter d’améliorer de jour en jour.

Les villes qui se sont engagées dans ces politiques l’ont fait dans des contextes d’économies faibles, aussi bien par pragmatisme et réalisme, conscientes que ces politiques sont les seules à être soutenables sur le long terme. Fondées sur des petits gestes, toujours en réglages et en ajustements, elles ont au moins l’avantage de ne pas proposer que le désespoir de destructions à venir aux citoyens.

Cyrille Hanappe, architecte-ingénieur, directeur scientifique du DSA « Architecture et risques majeurs » à l’Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Belleville et associé de l’agence d’architecture AIR
Dominique Tessier, architecte et directeur du CAUE de Mayotte
Nathalie de Loriol, ex-DGA de la Ville de Mamoudzou et secrétaire générale de l’association Art.Terre
Ludovic Jonard, architecte et directeur exécutif d’Architecture & Développement
Association des Architectes des Risques Majeurs


Le média en ligne de L’Architecture d’Aujourd’hui accueille les propos de toutes celles et ceux qui souhaitent s’exprimer sur l’actualité architecturale. Les tribunes publiées n’engagent que leurs auteurs et autrices.

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