Patrimoine freestyle
À l’automne 2024, Léa Cottreel et Rosalie Robert (RREEL) ont livré la rénovation d’un appartement au sein de l’emblématique Immeuble Molitor, bâti au début des années 1930 dans le 16e arrondissement de Paris et classé monument historique en 2017 – à l’exception de l’intérieur des appartements privés. À la suite d’une phase de curage aux allures de fouilles archéologiques, les architectes revisitent les principes d’aménagement établis dans les années 1930, tout en y intégrant des dispositifs adaptés aux modes d’habiter contemporains. Patrimoine, oui, mais en freestyle.
Yên Bui

Construit entre 1931 et 1934 pour la Société Immobilière de Paris-Parc des Princes, sur une parcelle de 26 mètres par 13 orientée ouest-est, l’immeuble en béton armé répond aux principes de la ville radieuse. Les deux derniers étages sont réservés à son architecte et abritent le fameux appartement-atelier, classé monument historique en 1972. Ce n’est pas le cas des du reste des appartements privés, dont les aménagements intérieurs sont proposés aux acquéreurs. Le plan libre permet de garantir que « la grandeur de l’appartement de même que le nombre des pièces [puissent] être modifiés selon le désir du preneur… avec possibilité d’aménagement personnalisé. »
Dans ce projet, les architectes de RREEL héritent d’un appartement du deuxième étage, réaménagé dans les années 1970 en trois pièces. Dans sa configuration d’origine, il était divisé en une grande « salle commune » et une chambre, côté rue, et la cuisine, la salle de bain et un bureau, orientés vers la cour. Leur intervention sur le plan consiste en la création d’un cloisonnement continu entre la partie jour et la partie nuit, dans lequel se nichent tous les rangements de l’appartement. La partition des usages est assurée par des éléments de mobilier fixes – l’îlot de cuisine et la cabine de douche – qui suffisent à délimiter les usages sans multiplier les cloisons.

Le souhait du client de « retrouver l’esprit et les qualités de l’oeuvre d’origine » a nécessité de procéder à une phase de curage, en préambule des études, qui s’est rapidement transformée en véritable enquête archéologique. Accompagnées de la Fondation Le Corbusier, les architectes ont progressivement retiré toutes les couches de l’appartement dans le but de retrouver les nus d’origine. Le curage a permis de redécouvrir les carreaux en grès cérame, cachés sous la moquette, ainsi que des traces de l’isolant Solomite d’origine. Les architectes ont restauré l’allège en pavés de verre de la façade sur rue, ce qui a permis un apport supplémentaire de lumière naturelle sans dénaturer le dessin de façade de ce bâtiment classé monument historique depuis 2017.

Léa Cottreel et Rosalie Robert se sont associées en 2023, à la suite de leur rencontre sur les bancs du DSA Architecture et Patrimoine de l’ENSA Paris Belleville, et s’intéressent à la restauration de bâtiments existants – plus particulièrement au patrimoine bâti du XIXe et XXe siècle. C’est en s’appuyant sur l’appartement-atelier et sur des documents d’archives que les architectes établissent une collection d’objets sur laquelle elles se sont appuyées tout au long du projet. « Nous ne souhaitions pas faire de pastiche. Pour cela, nous avons choisi de mettre en place différents dispositifs pour faire dialoguer le patrimoine avec des aménagements contemporains », explique Rosalie Robert.

Par « dispositifs », les architectes entendent une collection d’objets, soigneusement placés dans l’appartement de sorte à conserver la notion d’espace ouvert permis par le plan libre d’origine, et adapté aux modes d’habiter contemporain. Un îlot, positionné de biais, sépare la cuisine de la nouvelle pièce de vie tandis que la cabine de douche entièrement carrelée fait office de séparation entre la chambre et la salle de bain.

L’étape du curage a mis en lumière la présence d’une tablette en béton, le long du mur de la chambre, que les architectes ont restaurée à partir de documents d’archives. Leur travail de recherche leur a également permis de découvrir un dispositif de caisse à linge dans la salle de bain, qu’elles réinterprètent pour l’adapter à une utilisation plus contemporaine. Plus qu’une restauration, l’intervention est un bel hommage à l’oeuvre de ses architectes.

Appartement 24 N. C., 26 rue Nungasser-et-Coli, 16e arrondissement de Paris, 2024
Programme : Rénovation de l’intérieur d’un appartement de l’immeuble locatif à la porte Molitor bâti par Pierre Jeanneret et Le Corbusier
Maîtrise d’ouvrage : Privée
Architectes : Léa Cottreel, Rosalie Robert (RREEL)
Entreprise : Atelier fr/fr (menuisier)
Photographies : Mary Gaudin
Surface : 58 m2
Livraison : 2024