Norman Foster, le luxe d’être ensemble
Confiné lui aussi, il a bien dû travailler à domicile. Un comble pour le spécialiste du genre ? L’architecte britannique Norman Foster est l’un des premiers à avoir introduit des codes « lifestyle » dans les espaces de bureaux. Avec son projet à 5 milliards de dollars pour l’Apple Park de Cupertino, en Californie, livré en 2018, il est allé plus loin encore, offrant un « mode de vie » à la bagatelle de 12 000 salariés. Au vu des récents bouleversements, ces évolutions sont-elles vouées à l’obsolescence ?
Un article d'Andrew Ayers, paru dans le numéro d'AA 436, disponible dès à présent sur notre boutique en ligne.
Coronavirus oblige, Lord Norman Foster, baron of Thames Bank, est confiné chez lui. En l’occurrence à Saint-Moritz, dans les Alpes suisses, l’une des multiples propriétés de ce pair du Royaume-Uni, privilège auquel l’avait élevé le gouvernement de Tony Blair en 1999. Mais, en 2010, coup de théâtre : il renonçait à siéger à la Chambre des Lords lorsqu’une nouvelle loi en excluait les parlementaires ne résidant pas au Royaume-Uni ou refusant l’impôt sur les revenus perçus à l’étranger. Car cet architecte parmi les plus célèbres de la planète, né en 1935 à Manchester dans une famille de la classe ouvrière, est aussi un homme d’affaires accompli dont la fortune personnelle était estimée à quelques 170 millions de livres sterling en 2016.
Dans une profession où l’on fait rarement fortune, c’est un fait inhabituel, mais peut‑être pas si surprenant quand on sait que, commande après commande et depuis six décennies, son entreprise s’est donné pour mission de répondre aux besoins… des entreprises. « Dans les années 1960, les bureaux et les usines étaient vraiment minables », affirme Foster à propos des espaces de travail en Grande-Bretagne, où il est revenu en 1963 après l’obtention de son Master of Architecture à l’université de Yale, aux États-Unis. « Dans votre bureau, vous aviez très probablement du linoléum sous les pieds, un plan de travail en bois ébréché, et l’atelier de production était sans doute épouvantable, de même que les commodités – des toilettes innommables, dans un bâtiment isolé –, la direction étant pour sa part complètement séparée des équipes et disposant de ses propres sanitaires. »
C’est cette situation que Team 4, la première agence de Foster –partenariat formé avec Richard Rogers, son ami depuis Yale, la femme de celui-ci, Su, et Wendy Cheesman, qui allait devenir son épouse –, entreprend alors de révolutionner. C’était en 1967, pour les ateliers du fabriquant d’électronique Reliance Controls à Swindon, dans le sud-ouest de la Grande-Bretagne. « Je l’avais qualifié de pavillon démocratique », explique Foster à propos de ce hangar préfabriqué en acier, particulièrement abouti, qui « ne comportait qu’un seul bloc sanitaire, une seule entrée, un seul type de finition, une seule cantine, le tout sous un même toit. Il bousculait les oppositions entre “nous” et “eux”, l’avant et l’arrière, le propre et le sale, le pimpant et le vétuste, les cols bleus et les cols blancs. »
La même année, après la séparation de Team 4, Norman et Wendy fondèrent Foster & Associates, mais les commandes se font rares. C’est de cette situation désespérée que naîtra la réalisation qui leur permettra de percer, un bâtiment pour la compagnie maritime Fred. Olsen construit sur les Millwall Docks du port de Londres. Un projet que Norman Foster avait imaginé de toutes pièces, en persuadant l’entreprise norvégienne du besoin qu’elle en avait, alors même qu’elle ne réclamait au départ qu’un modeste bloc sanitaire pour les débardeurs. « J’ai servi de négociateur entre les syndicats et la direction », se souvient‑il à propos de cette aventure révolutionnaire consistant à convaincre des huiles réticentes de partager les mêmes locaux que les dockers bruts de décoffrage.