Parasite souterrain, par Ensamble Studio
Conduit par Ensamble Studio – l’agence pilotée par les Madrilènes Débora Mesa et Antón García-Abril (nés en 1981 et 1969) – le projet Ca’n Terra est de prime abord… invisible. Il n’a pas de forme, il n’ajoute pas de matériaux. On ne peut pas non plus parler de son achèvement au sens strict. Comme un parasite qui se nourrit de son hôte, il continue de grandir. «C’est un projet pour la vie, et nous ne sommes pas pressés», soulignent les architectes.
Cet article, signé des journalistes Immaculada E. Maluenda et Enrique Encabo Segui, fait partie du dossier paru dans le n° 438 de L’Architecture d’Aujourd’hui, composé avec l’artiste Tadashi Kawamata, rédacteur en chef invité de ce numéro, à retrouver sur notre boutique en ligne.
D’une ancienne carrière de pierres de taille, située près de Port Mahon, à Minorque, Débora Mesa et Antón García-Abril ont su tirer des choses qu’ils devaient précédemment créer par eux-mêmes, comme la gravité ou le temps géologique. Mais en bons symbiotes, ils lui ont offert autre chose en échange, telle la mutation environnementale de cet espace, avec, à la clé, une atmosphère si intime que l’on finit par ne plus pouvoir distinguer l’hôte de ses invités.
Le site de Ca’n Terra était une carrière de grès jusque dans les années 1920, puis a brièvement servi comme camp militaire pendant la guerre d’Espagne, avant d’être redécouvert par les architectes en 2017.
Jusqu’ici, le travail d’Ensamble était caractérisé par un intérêt manifeste pour la matière, dans une expérimentation constructive et formelle qui, dans ses manifestations les plus pures, effaçait toute trace de ce que l’on appelle communément un « édifice ». Au cours de la dernière décennie, cette approche a fait naître des artefacts à la frontière de la sculpture et de l’espace architectonique, comme leur refuge galicien de la Trufa (2010), sur la Costa da Morte, ou les dolmens monumentaux réalisés pour le Tippet Rise Art Center dans la petite ville de Fishtail (Montana, 2015), où la terre nue en coffrage a engendré des textures brutes et rugueuses.
Bien que Ca’n Terra semble se situer aux antipodes de ces roches en mouvement accéléré, la maison-grotte-atelier reste en parfaite cohérence avec leur philosophie : « Nous ne partons jamais de zéro. Nous cherchons toujours à découvrir un potentiel. Par exemple, les poutres préfabriquées d’un autre projet, la Casa Hemeroscopium, se sont chargées d’une autre signification au moment de leur assemblage. Il s’agissait à l’origine d’un résidu de béton façonné dans une logique industrielle, et qui n’était pas destiné à l’architecture. L’effort consistait à comprendre que tout ou presque était déjà là. »
Ainsi, ce que Ca’n Terra partage avec les précédentes réalisations d’Ensamble Studio, c’est une confiance inébranlable dans le pouvoir d’autoréalisation des choses, à l’opposé du contrôle millimétré propre à la discipline architecturale. Dans le Montana comme en Galice, on sait plus ou moins à quoi vont ressembler les pierres, mais cela importe finalement assez peu, comme d’ailleurs le fait de déterminer avec précision ce qui se passera dans les 1 000 m2 de Ca’n Terra.
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