Tribunes

Patrimoine à la poubelle : six bâtiments démolis en 2024

De l’immeuble Gluck à Toulouse à la tour Insee à Malakoff, en passant par des bâtiments du quartier de l’Alma Gare à Roubaix, nombreux sont les édifices qui ont été démolis en 2024. Malgré la mobilisation accrue de collectifs, d’associations et d’architectes pour la préservation du patrimoine, le nombre de permis de démolitions en France oscille toujours entre 16 000 et 17 500Marie de Bryas, architecte et co-directrice de l’antenne française de l’agence britannique Stephen Taylor Architectssouligne es impacts de ces opérations de démolitions sur l’environnement urbain et patrimonial, à travers la présentation de six bâtiments démolis en 2024.


Marie de Bryas 
Architecte et co-directrice de l'antenne française de l'agence britannique Stephen Taylor Architects

Alors que nous entrons en 2025, il est intéressant de se souvenir des bâtiments emblématiques qui ont été démolis cette année, malgré les luttes des défenseurs et défenseuses du patrimoine. Ces édifices, témoins de notre histoire collective, ont été sacrifiés sur l’autel du progrès et de l’urbanisation, laissant derrière eux des communautés et des paysages irrémédiablement transformés.

L’immeuble Gluck, Georges Candilis, quartier du Mirail à Toulouse, années 1960

Le quartier du Mirail à Toulouse, conçu par l’architecte Georges Candilis dans les années 1960-1970, est un exemple majeur de l’architecture moderne. Candilis, membre des CIAM et élève de Le Corbusier, développe ici une approche novatrice de l’urbanisme. Le projet intègre espaces verts et zones piétonnes, favorisant les interactions sociales tout en maximisant la lumière naturelle dans les logements. L’immeuble Gluck, témoin de cette ambition moderniste, place la qualité de vie des habitants au cœur du design.
Pourtant, dans le cadre du projet de rénovation urbaine porté par l’ANRU et Toulouse Métropole, le bâtiment a été démoli pour laisser place à un square réaménagé et de nouveaux équipements sportifs. « Démolir le Mirail est une absurdité ! » affirment des voix comme celles de Jean-Philippe Vassal, Renaud Epstein et Christophe Hutin, défenseurs d’une réhabilitation plutôt qu’une destruction radicale.

Immeuble néoclassique rue du château, Roubaix, 1840
Immeuble néoclassique rue du château, Roubaix © Association Urgences Patrimoine

Au cœur de Roubaix, cet immeuble néoclassique racontait l’histoire industrielle de la ville. En tant que dernière « maison de fabricant », il a abrité des entreprises emblématiques comme la maison de confection textile Thieffry Frères. « Il fait partie d’un petit corpus de bâtiments, certains prestigieux et protégés, érigés pour et par des personnalités de l’histoire de la ville ; ils sont des témoins précieux de ce qui a fait la réputation de la ville, une cité qui s’est développée à la cadence de sa population laborieuse, » souligne Michel David, conseiller municipal et initiateur d’une pétition pour sa sauvegarde.

Malgré ces efforts, l’immeuble a été démoli pour faire place à une résidence étudiante, marquant une rupture avec le patrimoine ouvrier et néoclassique de Roubaix.

Acropolis, Pierre Baptiste, Pierre Bernasconi et Georges Buzzi, Nice, 1985
Acropolis, Pierre Baptiste, Pierre Bernasconi et Georges Buzzi, Nice, 1985 © via Wikicommons

Le Palais Acropolis, conçu par les architectes Pierre Baptiste, Pierre Bernasconi et Georges Buzzi – surnommés « les 3 B » – est un chef-d’œuvre des années 1980. Ce « paquebot » architectural, long de plus de 300 mètres, symbolisait à l’époque l’optimisme urbain et l’innovation fonctionnelle. Avec ses salles monumentales comme l’auditorium Apollon, le Palais était un lieu central pour les congrès et événements niçois.

Malgré ces qualités, sa démolition a été décidée pour permettre le prolongement de la Promenade du Paillon, une « coulée verte » qui vise à transformer Nice en une véritable forêt urbaine de 8 hectares.

Tour Insee, Denis Honegger et Serge Lana, Malakoff, 1974
Tour Insee, Denis Honegger et Serge Lana, Malakoff, 1974 © via Shutterstock

Construite en 1974 par les architectes Denis Honegger et Serge Lana, la Tour INSEE était un symbole du brutalisme, avec sa forme unique en tripode dissymétrique et sa façade incurvée en aluminium. Ce bâtiment de 13 étages et 48 mètres de hauteur témoignait d’une recherche architecturale innovante, alliant fonctionnalité et éclairage naturel.

Aujourd’hui, malgré l’absence de projet de remplacement, la démolition de ce vestige a été actée et a suscité des critiques majeures. Selon l’association IN C’Malakoff, il faudrait entre 400 et 800 ans pour compenser le bilan carbone de sa destruction, soulevant des questions sur les impacts environnementaux de telles décisions.

Château de la Pomponnette, Pomponne, 1863
Château de la Pomponnette, Pomponne, 1863 © Dimitri Bourriau

Édifié en 1863 à Pomponne, en Seine-et-Marne, le Château de la Pomponnette représentait un exemple remarquable du style Louis XV, avec ses façades ornées et sa symétrie élégante. Abandonné depuis plusieurs décennies, il était devenu un lieu emblématique de l’Urbex, attirant de nombreux explorateurs fascinés par sa beauté dégradée.

Son propriétaire avait entrepris plusieurs tentatives pour le démolir en vue de construire des pavillons modernes. Dans un premier temps, le maire, Arnaud Brunet, avait refusé de délivrer un permis de démolition, bloquant même une tentative illégale de destruction. Finalement, le château a été déclaré en péril, autorisant sa démolition légale et marquant la disparition d’un témoin du patrimoine local.

Bâtiments du quartier de l’Alma Gare, Roubaix, années 1970-1980

Le quartier de l’Alma-Gare, situé au nord-ouest de Roubaix, est emblématique des luttes urbaines et de l’urbanisme participatif en France. Dans les années 1970, face à la dégradation des courées ouvrières, les habitants se sont mobilisés pour préserver leur cadre de vie. Ils ont créé en 1973 l’Atelier Populaire d’Urbanisme (APU), une initiative citoyenne visant à élaborer un projet de rénovation en collaboration avec les autorités locales.  Cette mobilisation a conduit à la reconstruction du quartier dans les années 1980, avec des logements neufs conçus selon les besoins exprimés par les résidents. Les architectes impliqués, tels que Gilles Neveux et les agences Ausia et François et Marie Delhay, ont privilégié des bâtiments en brique rouge, dotés de balcons ou terrasses, s’ouvrant sur des cœurs d’îlots verdoyants. Cette architecture à échelle humaine visait à recréer une vie de quartier dynamique et solidaire.

Aujourd’hui, un nouveau plan de renouvellement urbain prévoit la démolition de 480 logements dans le quartier de l’Alma-Gare, au lieu de privilégier la rénovation de ce patrimoine. Selon Florian Vertriest, président du collectif contre la démolition de l’alma gare « Raser ces bâtiments, construits selon les souhaits des habitants il y a 40 ans, c’est invraisemblable »,

Il est désormais bien établi que la restauration ou la transformation d’un bâtiment est nettement plus écologique que sa démolition. En effet la rénovation peut réduire l’empreinte carbone d’un bâtiment de 50 à 75 % par rapport à une démolition et reconstruction complètes, tout en économisant de l’énergie et en préservant les ressources naturelles. Sur le plan patrimonial, elle conserve l’histoire et l’identité culturelle des édifices et de nos villes et nos communautés.

Préserver l’existant, le transformer et lui redonner vie doit devenir une priorité pour tous. Engageons-nous à rénover et revitaliser plutôt qu’à démolir, afin que l’histoire et l’identité de nos communautés continuent d’enrichir nos vies plutôt que de finir à la poubelle.


Le média en ligne de L’Architecture d’Aujourd’hui accueille les propos de toutes celles et ceux qui souhaitent s’exprimer sur l’actualité architecturale. Les tribunes publiées n’engagent que leurs auteurs et autrices.

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