Livres : Paul Tissier, architecte de la fête
Dans le numéro 452, L’Architecture d’Aujourd’hui s'interroge sur la fête et les lieux de sa célébration. Pour poursuivre cette réflexion sur le rôle de l'architecte, retour sur le travail de Paul Tissier (1886-1926), architecte formé aux Beaux-Arts de Paris, président du bal des Quat’z’Arts et scénographe de près de 100 fêtes extravagantes à travers l’Europe des Années Folles.
Publié en 2022 aux éditions Norma, le livre Paul Tissier, L’architecte des fêtes des Années Folles revient sur cette carrière-éclair et explore les très riches archives (400 éléments de décors, 2000 documents graphiques) témoignant des fêtes artistiques des années 1920. Rome antique, cubisme, Russie ou encore royaumes sous-marins, les thèmes explorés par l’architecte et son épouse Gisèle Tissier sont multiples. Des toiles peintes aux costumes, en passant par les joutes navales et les feux d’artifices, cet ouvrage permet de se plonger dans la folie créatrice de l’époque.
Combat de gladiateurs lors de la fête « Le Banquet chez le proconsul », Hôtel Ruhl, Nice, le 30 janvier 1924.
En 1911, Paul Tissier devient président du comité du bal Quat’ z’ Arts, « fête intime donnée par des artistes, et pour des artistes, où chacun doit être acteur et non pas spectateur », selon les mots d’André Warnod (1923) [1]. Né en 1892 à l’initiative des architectes Henri Guillaume et Charles Cravio, cherchant à rivaliser avec le bal de l’Académie privée de peinture Julian, le subversif bal des Quat’z’Arts a rythmé la vie des étudiants des Beaux-Arts de Paris jusqu’en 1966.
Si le premier carton d’invitation au bal affirme que « le costume débraillé est de rigueur » (23 avril 1892), le thème historique s’impose peu à peu et nécessite des mois de préparation. A partir du début du XXème siècle, chaque édition « a pour but la reconstitution par l’ensemble des élèves des ateliers de l’École des Beaux-Arts, d’une époque de l’histoire par la décoration de la salle où a lieu le bal et par des costumes et défilés », selon les statuts du Bal. Après un défilé à travers Paris depuis l’École, chaque atelier défile en groupe pour les différents concours : meilleur costume et casque, plus beau char ou encore plus beau nu… Au petit matin, les participants traversent la ville endormie jusqu’aux Beaux-Arts, avant de se disperser quai Malaquais.
Lieu d’expérimentation, de liberté et de transgression, le bal est successivement marqué par des scandales et des émeutes. Si ce sont les étudiants grimés en noir (blackface) qui laissent perplexe le lecteur contemporain, c’est la modèle Sarah Brown défilant en Cléopâtre nue qui choque l’opinion en 1893. Attaqués en justice par un sénateur, les organisateurs du bal ne sont condamnés qu’à une amende symbolique. Cela n’empêche pas le déclenchement d’émeutes dans Paris, qui firent une victime.
Après la guerre, Paul Tissier s’installe sur la Côte d’Azur et fait en 1924 la rencontre d’Alfred Donadei, président de la Société des grands hôtels de Nice, qui le charge d’organiser des fêtes pour relancer l’attractivité des palaces de la ville. Fort de son expérience au bal des Quat’z’Arts, celui-ci organise avec son épouse Gisèle près de 100 fêtes extravagantes en seulement deux ans, de la scénographie à la mise en scène.
Décédé en 1926 à 40 ans, Paul Tissier aurait sombré dans l’oubli si ce n’est le travail d’archivage réalisé par Gisèle. Avec Paul Tissier, L’architecte des fêtes des Années Folles, l’historien d’art Stéphane Boudin-Lestienne remet en lumière cette trajectoire d’« étoile filante ».
Paul Tissier, tenture de fond de scène, 4 x 5 m, peinture à la colle pailletées dorées sur tissu d’ameublement moiré, exécutée par les ateliers des frères Barberis, 1925.
Paul et Gisèle Tissier (en costume de danse grecque), vers 1925.
Paul Tissier, tenture masque de tragédie pour la fête « Le Banquet chez le proconsul », Hôtel Ruhl, Nice, 30 janvier 1924, exécutée par les ateliers des frères Barberis.
Paul Tissier costumé pour le bal des Quat’z’Art, Paris, 1912 (à gauche) et la princesse Tcherkakov lors de la fête « Un repas de noce en Russie », Hôtel Ruhl, Nice, 26 février 1924 (à droite).
Vélum Dragon pour la fête « Fête des lanternes », Hôtel Ruhl, Nice, 19 mars 1924, exécutée par les ateliers des frères Barberis.
[1] André Warnod, numéro spécial « Le Bal des Quat’ Z’Arts », revue Eros, 1931.
Paul Tissier, L’architecte des fêtes des Années Folles,
Stéphane Boudin-Lestienne,
Editions Norma,
256 pages.