© Lillian Birnbaum
© Lillian Birnbaum

Architecture

Hommage des élèves de Paul Virilio

L’urbaniste et philosophe Paul Virilio nous quittait le 10 septembre dernier. Ce visionnaire avait marqué bien des esprits, dont ceux de ses étudiants à LÉcole Spéciale d’Architecture. Quelques-uns d’entre eux ont souhaité lui rendre hommage — des témoignages à retrouver dans le numéro 427 dAA — dont larchitecte et paysagiste Jean-Philippe Poirée-Ville.

Les cours de Paul étaient comme un film projeté sur l’écran de nos esprits.
Le film commence sous le bombardement de Nantes, je ferme les yeux.

Boum quand la maison fait boum
Tout avec elle dit boum
Et Virilio nous réveille
Boum, Mai 68 dit boum
Et Virilio dit boum
Il croit vivre son rêve
Il nous entraîne, nous pousse, nous lance
vers une ère nouvelle
il y a sa joie
et ses bras qui se tendent
vers ce soleil qui se lève
Boum, le monde entier fait boum
Quand Virilio fait boum
Quand notre cœur fait boum boum
[chanson interprétée par les étudiants de Paul lors de son départ en retraite en 1996]

Dans l’atelier grenier de l’École Spéciale il y a d’la joie. « Vive la vie » c’était son slogan et pour la cultiver, mieux vaut apprendre ce qu’est le monde, qu’inculquer un art de construire.

Prendre un Archi par la main
Pour l’emmener vers demain
Pour lui donner la confiance en son trait
Prendre un Archi comme il vient
Faire d’un Archi un auteur
Qui ait d’l’audace et du cœur
Trouver ses armes et lui donner sa chance
Croire que demain sera sien
Trouver ses armes et lui donner sa chance
Croire que demain sera sien

Le film se termine et Virilio déprime.
« L’homme de masse » a choisi d’accéder à l’histoire même au prix de l’autodestruction.
On ne s’émancipe plus de la terre, ni de la terre du cimetière.
On descendait de la fusée comme pour aller danser, y a pas de java martienne.
On a voulu le grand soir, on a le pourrissoir.

Croire que demain sera sien, il ne faut pas que « tous ces moments se perdent dans l’oubli comme les larmes dans la pluie ».

On a tous quelque chose en nous de Virilio
Une volonté de transformer la vie
Ce désir fou de vivre une autre Archi
Ce rêve en nous avec ses mots à lui
Quelque chose de Virilio
Cette force qui nous pousse vers l’infini
Un peu de lui avec notre affection
Un peu de nous dans sa nostalgie
Quelque chose de Virilio
Ainsi est Paul Virilio
Le cœur en fièvre et le corps en vigie
avec sa si belle énergie
Ce rêve en nous c’est son livre à lui
Quelque chose de Virilio
Quelque chose en nous de Virilio

Que serions-nous sans toi, de vieilles Apple Watch en déclin, que des heures arrêtées au cadran du progrès ?

« Le progrès a si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle » ni les cathédrales, ni les mosquées ni le temple, ni les fusées ne réenchanteront le monde. Il reste les cabanes.

L’horizon s’est retourné comme une vague sur un certain vide, laissant sur la plage entre l’écume du ciel, tes livres.
À chacun de parcourir ces pages avec son appareil photo en bandoulière.

J’y retrouve comme échouées les « Balises de survie », concours que tu avais initié en 1993.

« Il ne peut y avoir de progrès que dans l’individu et par l’individu lui-même » écrit Baudelaire.

Un nouveau monde s’ouvre, « laissons de coté ce qui est pare-ciel ».

Gudule ! Laisse tomber
Les atomiseurs, les téléviseurs,
Les pistolets à gaufres et les draps qui chauffent.

Faut retourner au combat, enfoncer la pointe du compas, « oser l’ornement » incruster dans les esprits le rythme nouveau des battements de nos cœurs. Zig zig boum !


Jean-Philippe Poirée-Ville

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