Philippe Madec, « La diversité et l’universel »
En novembre 2024, la troisième édition de la Biennale internationale d’architecture tropicale se tenait au Port, sur l’île de la Réunion, pour trois jours de conférences, débats et expositions sur le devenir de l’architecture des zones géographiques intertropicales. L’architecte Philippe Madec, invité d’honneur de cette édition et parrain de l’École d’architecture de la Réunion, revient sur ce temps d’échanges et d’appel à « faire communauté ».
Philippe Madec
Antenne de l’Ensa de Montpellier, créée en 1988, un an après le rapport Brundtland [rapport intitulé Our Common Future, publié par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, à l’époque présidée par Gro Harlem Brundtland. NDLR], depuis peu 21e école nationale supérieure d’architecture française, l’Ensa de la Réunion est historiquement engagée dans l’enseignement d’une architecture durable portée par le bioclimatisme. Quand elle invente la Biennale Internationale d’Architecture Tropicale, tous les choix des interventions et des projets retenus relèvent de cet engagement et constituent un formidable panel d’architectures exemplaires en termes d’écoresponsabilité, d’alternatives déjà réalisées, sous toutes les tropiques autour de planète : Équateur, Vietnam, Burkina Faso, Colombie, Indonésie, Australie, Sri Lanka, La Réunion, La Martinique et Mayotte.
Bienveillance pour la Nature, pour le vivant humain et non humain, importance du paysage, respect des diversités culturelles et de biodiversité, ménagement de ce qui est déjà là, es mises en œuvre savantes des matières naturelles, bio et géosourcées, comme de l’eau et du végétal étaient déclinés de projets en réalisations qui faisaient preuve d’une heureuse sororité et fraternité.
Les Tropiques sont exemplaires. Différemment de l’Occident et l’Orient, du Global North et du Global South, elles parlent de notre unité continuie globale. Dans cette biennale, c’est la « mondialité » du grand philosophe poète martiniquais Édouard Glissant qui était à l’œuvre : « Cet état de mise en présence des cultures vécu dans le respect du Divers. »
Refuser la mondialisation et son utopie assassine des cultures constructives comme des peuples et des espèces, dire non à l’appauvrissement de notre si grand bien commun terrien qu’est la diversité n’est pas qu’une résistance de l’architecture, c’est sa ténacité, ferme et souveraine. Dans Encore un moment…, Edgar Morin éclaire cette condition : « Faut-il renoncer à toute universalité par crainte de l’abstraction et de l’erreur ? Au contraire : nous sommes dans l’ère de la communauté de destin de l’humanité. […] l’universel est concret. »
Au Port, il en a bouillonné une profusion jubilatoire d’ambiances, de matérialités, de formes et d’architectures, diverses, toutes adaptées, dans leurs histoires et leurs géographies, aux sociétés, cultures et climats si variés. Reconnaître la diversité somptueuse, fragile et disséminée de l’établissement humain demande un changement historique du regard sur notre être-là physique, sur notre présence. Cette biennale le permet. Elle déploie un universel concret.