Philippe Trétiack : « Les architectures dialoguent entre elles »
Pour le numéro 424 de L’Architecture d’Aujourd’hui, le journaliste Philippe Trétiack expose sa vision des nouvelles interventions urbaines, par rapport à une époque révolue où celles-ci s’inscrivaient d’office dans une logique de continuité de l’existant. Tribune.
Décalquées du monde bruissant des arts plastiques où, saisies d’une frénésie immersive, les oeuvres partout « dialoguent entre elles », les architectures à leur tour semblent la proie d’un engouement pour la discussion, le talk et l’échange. Tels des tableaux, des sculptures ou des cartons à chapeaux disposés en vis-à-vis, les édifices ne se font plus face, mais s’étreignent, se bourrent les côtes de bons mots, discutent à qui mieux mieux.
C’est à peine si, à la nuit tombée, il est encore possible de fermer l’oeil dans le vacarme de ces immeubles dialoguant à plus soif. On se souvient d’une époque où les bâtiments se construisaient dans le but, il est vrai fort étriqué, de prolonger une rue, d’y créer l’illusion d’un continuum. D’autres s’élevaient en solitaires, quelquefois en adversaires, osant délibérément critiquer un passé rétrograde par l’affirmation d’un volume, d’une structure, d’une peau manifeste. Les écailles d’acier mettaient à mal la pierre agrafée, le béton aveuglé par les reflets mordorés des façades miroirs prenait un coup de vieux. Par chance, à cette discipline rigide qu’était l’architecture succède, à en croire promoteurs, maîtres d’oeuvre et spécialistes de la cause urbaine, une manière de faire qui tient désormais de la courtoisie de salon, peut-être même de l’apéro cérémoniel. À l’affirmation des styles et des ego succède l’humble version d’un métier où les architectes, désireux d’entamer avec leurs confrères un dialogue fécond, se voient bombardés Socrate HQE ou Platon en Ductal. À la manière des ventriloques, ils habillent leurs immeubles d’une logorrhée de bon aloi.
De quoi donc ces architectures parlent-elles ? Vile question ! L’important, c’est le dialogue et si les bâtiments ne cassent rien, au moins… ils causent.
Une tribune de Philippe Trétiack.