La qualité n’est pas un luxe, par Cécile Brisac
La qualité de vie que propose un logement aujourd’hui est tout à fait relative aux normes du pays et au contexte urbain dans lequel il s’implante. Cécile Brisac, architecte cofondatrice, avec Edgar Gonzalez, de l’agence londonienne Brisac Gonzalez, l’explique dans une tribune qu’elle intitule « La qualité n’est pas un luxe » dans le dernier numéro d’AA.
Tout le monde estime normal que chacun puisse se loger, mais la notion de qualité, ou même de décence, donne lieu à bien des interprétations. Ne serait-ce que d’un point de vue sémantique, employer le terme « logement » plutôt que celui « d’habitat » pour évoquer le sujet, ou celui « d’appartement » pour désigner le lieu, est dénué d’une notion humaniste incontournable si l’on souhaite aborder le sujet autrement que par les chiffres et la fonctionnalité. En anglais également, utiliser « unit » plutôt que « home » révèle une certaine mentalité de comptable.
Si les principes modernistes, avec tous leurs atouts et leurs défauts, ont influencé assez systématiquement l’habitat social d’après-guerre à travers l’Europe, les standards actuels n’ont rien d’international. Pour un Suédois, il est inconcevable de construire des habitations en bordure de voie ferrée. À Londres en revanche, les voies menant à la gare de Waterloo sont bordées de nouveaux immeubles, les balcons tournés fièrement au sud, vers les trains sans cesse en mouvement. À Vienne, le grand ensemble Alt Erlaa comprend piscines, courts de tennis, jardins et salles de sport, et ici, à Londres, une loi votée récemment pour faire face à la situation absolument critique de l’habitat – résultat, entre autres, de la vente depuis plusieurs décennies du parc social –, autorise la conversion sans permis de construire d’immeubles de bureaux, souvent sinistres, en habitations temporaires, façon cages à lapins. Nous savons tous que ce qui est prévu comme temporaire ne l’est rapidement plus. Londres se montre au moins exemplaire par sa mixité, des immeubles d’habitat social étant intégrés dans les quartiers les plus huppés, et cette cohabitation est une réussite.
L’habitat, qui constitue le tissu urbain de nos villes, a un impact sur la cohésion de leur tissu social. Concevoir des lieux de vie lumineux, spacieux, intégrés intelligemment, construits pour durer n’est pas une approche à réserver aux seuls gratte-ciels ou aux institutions de prestige si nos sociétés aspirent à traiter leurs citoyens avec respect plutôt qu’avec mépris. L’architecte ne peut bien sûr pas agir seul. Des appartements bien conçus sont du gâchis dans le cadre d’un urbanisme dysfonctionnel ; ils sont inconstructibles sans le soutien d’élus éclairés.
Ce matin, je reçois dans ma boîte mail l’annonce de la création de la Quality of Life Foundation. Avec plus de huit millions de mal logés ici, elle ne va pas chômer. Décidément, la qualité n’est pas du luxe.
Cécile Brisac
Découvrez ci-dessous en images le projet Lot O4A ZAC Clichy-Batignolles livré en janvier 2019 par les agences Brisac Gonzalez (groupe scolaire, centre sportif, plot 1 de logements sur rue, commerce et stationnement) et Antoine Regnault Architecture (plot 2 de logements sur parc) à Paris. Le projet comprend un groupe scolaire, un centre sportif, un immeuble de logements ainsi que des commerces et un parking.
PHOTOGRAPHIES
MAQUETTE, COUPES, PLANS
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