Quid ? « Le vivre-ensemble » par Philippe Trétiack
Qu’un coupe-gorge fasse la une de la presse à coutelas, qu’une bousculade, une bagarre, une émeute vienne chatouiller l’esprit républicain et revoilà « le vivre-ensemble » agité tel un encensoir. L’aspersion agissant à la manière des antibiotiques sur les tissus enflammés, les incivilités, la corruption, les quartiers difficiles et même le terrorisme semblent aussitôt courber l’échine. La nation tricolore respire, les élus bombent le torse et la ville avec ses ghettos apaisés reprend courage. « Allez, les gars, serrez vous la main ! »
Pourtant, dans cette formule, qui tient tout à la fois de l’incantation vertueuse, de la supplique inopérante et du sourire béat, quelque chose gène aux entournures. Ce n’est pas tant l’expression « vivre-ensemble », mais plutôt l’article qui l’introduit. « LE » vivre-ensemble. Dirait-on « LE jouer des coudes », « LE construire pas cher », « LE garer en double file » ? Certes non. La morale et la syntaxe nous en dissuaderaient fissa. Mais dans le cas qui nous occupe, et même nous préoccupe, dans cette antienne qu’on nous assène à tout va, ce « LE » est un aveu. Celui d’une machine de propagande, ersatz de langue de bois, qui derrière son apparente ouverture à la multiplicité des origines, à la cohabitation des communautés civiles, ethniques et religieuses, au respect des générations entre elles, veut en réalité imposer une unique manière de vivre les uns avec les autres.
« LE » vivre‑ensemble est une promesse d’existence où la bonhomie de l’entre-soi tient lieu de ciment social. Dans ce vivre-ensemble là, les faits divers, les crises économiques, le chômage, le racisme, l’antisémitisme, les femmes voilées, les prières de rues et les cocktails Molotov doivent se consommer en suçant des glaçons. « LE » vivre-ensemble, c’est la vie façon Mairie de Paris, cool et décontractée, de préférence en terrasse, smartphone et verre de spritz à la main, un week-end étiré entre deux ponts. En résumé, ce « LE » vivre-ensemble, c’est gaz à tous les étages et Fête des voisins pour tout le monde, obligatoire évidemment. Un bonheur ? Plutôt une arnaque. LA arnaque.
Cet article à retrouver dans le numéro 425 d’AA, disponible ici.