L'immeuble de logements Paris XVIIIe de Chartier-Corbasson © Romain Meffre & Yves Marchand
© Romain Meffre & Yves Marchand

Architecture

Recycling Haussmann

Livré en 2017 dans le XVIIIe arrondissement de Paris, un immeuble comptant 12 logements habillé de panneaux en Trespa offre, en trompe-l’oeil, l’image d’une façade haussmannienne. Une parure volontairement pixellisée par l’agence Chartier-Corbasson afin d’inscrire le nouveau volume dans l’alignement existant sans pour autant le singer. Explications par Thomas Corbasson. 

Paris et ses façades alignées sur rue, ses cours, ses faces arrière. La ville haussmannienne répond à une organisation urbaine stratifiée qui faisait l’objet, durant nos études d’architecture, de nombreuses critiques ; il fallait ouvrir l’îlot haussmannien, échapper à la notion d’intériorité. La réalité du métier est autre, et elle accueille aujourd’hui un nouvel impératif : il s’agit désormais de faire dense. Dense pour rentabiliser, mais aussi pour contrer l’étalement urbain et préserver nos ressources. De ce point de vue, l’urbanisme haussmannien présente des qualités. Cette petite parcelle dans le XVIIIe arrondissement de Paris, que nous confiaient un frère et une soeur en 2010, ne nous permettait pas de casser le mur haussmannien. Alors autant le sublimer ! 

Dès le premier regard, le site nous est apparu comme une pièce manquante, induisant une rupture dans le long ruban de façades haussmanniennes. Dans un tel contexte, la façade opère comme le générateur du projet. Celle de notre bâtiment est le fruit d’une longue maturation, s’appuyant sur les particularités propres aux deux façades mitoyennes, l’une peinte, l’autre en pierre de taille. Pour assurer une transition, nous avons mis au point une matière capable de reproduire la photo d’une façade haussmannienne. Cette idée de continuité, de respect du ruban haussmannien, fut au coeur de nos relations avec le client. Il fallait faire au moins aussi bien que le modèle haussmannien qui était notre point de référence, le pivot de nos exigences respectives, comprenant la création de parties communes éclairées, d’un escalier spacieux ne se réduisant pas à un simple tube de béton, d’un hall en pierre de taille ou équivalent, l’installation de paillassons et boîtes aux lettres intégrés, et de parquet dans toutes les pièces, etc.

Le plan général, comme la façade, rétablit la continuité des cours adjacentes, tout en dispensant les reculs nécessaires à la création de vues. Nous avons veillé à ce que tous les appartements soient traversants, refusant de reproduire ce qui nous paraissait être le principal défaut de l’architecture haussmannienne, c’est-à-dire la répartition entre cour et rue. De ce fait, les appartements (essentiellement des 2 ou 3 pièces destinés à la location) sont articulés autour d’un grand séjour central à double orientation, bordés d’alcôves intégrant les kitchenettes, et équipés sur chaque façade de baies vitrées toute largeur et de balcons tous habillés de claustras imprimées, formant une façade qui reproduit la photo de l’immeuble contigu.

La technique utilisée pour restituer cette image tire parti des caractéristiques des panneaux en Trespa, mêlant bois et résine, dont l’âme noire contraste avec le traitement de surface, en l’occurrence un ton pierre. En usinant les panneaux, on révèle littéralement l’âme du matériau. Nous avons donc appliqué une trame semblable à celle qui permet l’impression des journaux sur la photo prise par nos soins, et l’avons transposée par usinage – avec une profondeur de 2 millimètres – sur les panneaux. Nous avons numérisé le procédé et l’agence a assuré la production de 450 fichiers vectoriels différents, qu’elle a ensuite transmis à l’entreprise. Pour cela, il a fallu passer par l’écriture d’un script, un algorithme qui prenait en compte les données techniques fournies par le fabricant, l’entreprise et l’architecte. Il a ainsi pu intégré un usinage de 20% maximum de la surface des panneaux, qui correspondait à la contrainte de garantie émise par le fabricant, une trame d’une dimension précise de 27 millimètres appliquée sur la totalité de l’immeuble, permettant d’intégrer les vis tous les 54 centimètres, la dimension d’étage, 2 700 millimètres, la dimension d’un volet, 270 millimètres. L’algorithme développé a également intégré la dimension des fraises disponibles pour l’usineur, soit 6 millimètres au minimum. Nous avons dû à l’époque mobiliser la totalité des postes de l’agence, sur plus d’un week-end, pour assurer une puissance de calcul à même de générer l’image vectorielle. Le résultat est un dessin simplement composé de traits, mais qui s’apparente à une photo. La réalité est tronquée, mais l’alignement est bel et bien respecté.

Cet article écrit par Thomas Corbasson est extrait du numéro 429 d’AA, « Ornements, icônes et symboles », disponible en librairies et sur notre boutique en ligne.

L'immeuble de logements Paris XVIIIe de Chartier-Corbasson © Romain Meffre & Yves Marchand
L’immeuble de logements Paris XVIIIe de Chartier-Corbasson © Romain Meffre & Yves Marchand

 

 

Côté rue, l’immeuble se déforme et se gonfle pour occuper le maximum d’espace afin d’offrir les logements les plus grands possible. Les volets font façade. © Romain Meffre & Yves Marchand © Chartier-Corbasson
Côté rue, l’immeuble se déforme et se gonfle pour occuper le maximum d’espace afin d’offrir les logements les plus grands possible. Les volets font façade. © Romain Meffre & Yves Marchand © Chartier-Corbasson

 

 

Chacun des 450 panneaux de bois et résine stratifiés est fixé dans un cadre en acier laqué. © Chartier-Corbasson © Romain Meffre & Yves Marchand
Chacun des 450 panneaux de bois et résine stratifiés est fixé dans un cadre en acier laqué. © Chartier-Corbasson © Romain Meffre & Yves Marchand


La modélisation informatique a permis d’ajuster à l’échelle 1 l’image à reproduire en fonction des volets et de leurs vissages. L’impression a été effectuée selon une trame de 27 cm. © Romain Meffre & Yves Marchand
La modélisation informatique a permis d’ajuster à l’échelle 1 l’image à reproduire en fonction des volets et de leurs vissages. L’impression a été effectuée selon une trame de 27 cm. © Romain Meffre & Yves Marchand

 

Architectes : Chartier-Corbasson
Programme : 12 logements : 5 T2, 5 T3, 1 studio, 1 T4 en duplex et un parking de 12 places
Surface : 932 m2
Livraison : Mars 2017

 

 

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