© L'Architecture d'Aujourd'hui
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Architecture

Redonner de l’élan à des futurs non réalisés

Le 3 juillet dernier, AA organisait au sein de l’Atelier Tarkett à Paris un troisième échange dans le cadre de la série « Affinités créatives » et réunissait à l’occasion l’artiste Alain Bublex et l’architecte Nicolas Laisné. Extraits choisis.

Emmanuelle BorneAlain Bublex, les architectes connaissent notamment vos collages intitulés Plug-In City, directement inspirés des projets d’Archigram. Mais vous avez également réalisé d’autres séries où la ville est omniprésente. Pourquoi cette prédilection pour l’architecture et les paysages urbains ?

Alain Bublex : Je n’y ai jamais réellement pensé. Je suis né en ville, et c’est un paysage naturel pour moi. Ce qui m’interpelle dans les villes, c’est qu’elles ne sont jamais achevées. On a toujours le sentiment que quelque chose est à finir, que la ville se définit autant par ses constructions que par les projets  qui n’ont jamais pu y être menés. On se promène à la fois dans quelque chose qui existe et dans quelque chose qui aurait pu être. C’est un peu la poésie d’une rue de banlieue, de ces immeubles de briques verticaux, isolés entre des bâtiments beaucoup plus petits.  On a vraiment l’impression qu’ils attendent leur rue et sont surpris qu’elle ne soit pas arrivée.  Cet étonnement m’a toujours plu.

EB : Votre œuvre oscille entre fiction et réalité. Vous parlez à ce sujet de futurs antérieurs : qu’entendez-vous par là ? Nicolas Laisné, qu’est-ce qu’une œuvre comme celle d’Alain Bublex vous inspire ?

AB : Plutôt que chercher à construire de nouvelles choses, pourquoi ne pas reprendre les choses qui n’ont jamais abouti ? En discutant de ces projets non aboutis avec le philosophe Elie During, j’ai réalisé qu’il s’agissait du futur. Le futur n’est pas du présent en réserve, ce n’est pas ce qui va arriver, le futur c’est toutes ces choses projetées au-dessus de nous, qui ne sont jamais retombées, et qui continuent donc à exister. Et mon travail consiste à redonner de l’élan à ces futurs. Quand Le Corbusier pense le Plan Voisin pour Paris, ce dessin ne se réalise pas : il fait partie des possibles entre guillemets. Quand je travaille sur ce Plan Voisin, l’idée consiste à le relancer, à le maintenir au futur et à veiller à ce qu’il ne retombe pas.

Nicolas Laisné : J’ai un rapport à l’utopie qui est frileux, je me méfie des villes qui sont prédessinées. J’observe qu’aujourd’hui, la notion de fabrique de la ville est plutôt le résultat d’une pluralité d’acteurs, et d’accidents. C’est ce que je retrouve dans le travail d’Alain Bublex.
Chez lui, les utopies sont des sources d’inspiration, comme peuvent l’être les villes réelles. J’apprécie les espaces qui ne sont pas trop définis, les processus qui peuvent être altérés pas des accidents. Les villes que je préfère, qui me semblent être les plus agréables, sont celles qui ont été créées avec beaucoup de contraintes et j’estime à l’inverse que des villes comme Brasilia, qui ont été dessinées d’un trait, ne sont pas celles où il fait bon vivre. Les architectes avaient pris trop de poids dans la réalisation des villes et de plus en plus, ce qui me semble bénéfique, ils ne sont plus au centre. Dans les réunions, il y a désormais quinze acteurs, dont des urbanistes et des paysagistes. L’architecte retrouve néanmoins un rôle essentiel dans l’assemblage de ces compétences.

EB : Et vous, Alain Bublex, que vous inspirent Chandigarh ou Brasilia, et partagez-vous le point de vue de Nicolas Laisné sur ces villes issues d’un geste démiurge ?

AB : Oui, j’ai toujours l’impression que ce projet de maîtrise totale échoue toujours. Même Paris, où il y a des accidents un peu partout, parvient à échapper à Haussmann, c’est dire ! Mais je ne me sens pas concerné par cette question de la même manière que Nicolas, parce que je ne pose pas la question de faire la ville ; ce qui m’intéresse est de la parcourir. Et c’est beaucoup plus simple de la parcourir que
de la faire. D’ailleurs, je distingue toujours le projet derrière le réel. Et le projet me paraît toujours bienveillant, même quand il échoue.

EB : Et ces entrées de villes qu’on condamne aujourd’hui, ces zones commerciales composées de boîtes à chaussures, ces ronds-points fleuris ? Nicolas Laisné, je doute que ces espaces vous enchantent…

NL : De quelles entrées de ville parlons-nous ? C’est sûr que Las Vegas vu par Venturi et Scott Brown est très poétique. On peut trouver de la poésie partout, mais il y a quand même eu des erreurs urbaines assez lourdes. Concernant ces entrées de ville, je pense qu’on pourrait les rendre plus bucoliques. J’estime d’ailleurs que les paysagistes n’ont pas assez de pouvoir dans la conception des villes. En architecture, la notion d’auteur s’est complètement transformée. Rares sont les projets où l’architecte travaille seul : on est désormais trois ou quatre agences à réfléchir ensemble et on aboutit à des projets qui sont à mon avis beaucoup plus riches, plus adaptables.

 

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