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Architecture

Ricardo Bofill : décès d’un géant

Il aura laissé une empreinte indélébile dans l'histoire de l'architecture contemporaine : l'architecte catalan Ricardo Bofill est décédé ce jour, le 14 janvier 2022, a annoncé sa famille dans une dépêche. 

Avec ses complices Manuel Núñez Yanowsky, Ramón Collado et sa sœur Ann, il fonde en 1963 son agence à Barcelone, Ricardo Bofill Taller de Arquitectura, et signe des ouvrages inoubliables, en France (les Arcades du Lac Montigny-le-Bretonneux en 1981, les Espaces d’Abraxas à Noisy-le-Grand de 1982, ou encore le quartier Antigone à Montpellier de 1988) mais aussi en Espagne (les résidences Walden 7 de 1975 à Barcelone, la Muralla Roja à Alicante de 1973) et dans le monde (la Mohammed VI Polytechnic University, Benguérir, Maroc, 2016). « Postmoderniste », « néoclassique », « démesurée », qu’importe l’étiquette, l’architecture de Bofill était avant tout le fruit d’une réflexion éminemment urbaine, une vision sociale, un goût de la recherche appliquée avec le plus grand soin.

En décembre 2020, il avait fait l’objet d’un portrait dans le numéro 440 d’AA, consacré à la démesure en architecture, dans lequel il racontait au journaliste Andrew Ayers : « Je trouve que ce n’est pas très élégant de s’adresser des louanges à la fin d’une vie. Il faut avoir une vision beaucoup plus autocritique. Je continue de concevoir des projets car je crois que je peux encore m’améliorer, que j’ai encore des choses à dire. »

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Anastasia de Villepin

Retrouvez ci-dessous l’intégralité de ce portrait.


Ricardo Bofill, à l’échelle de l’histoire

Que ce soit en France, en Espagne ou aux États‑Unis, Ricardo Bofill, 81 ans, a livré parmi les bâtiments les plus impressionnants du XXe siècle, tant par leurs dimensions que par leur style, (trop) rapidement qualifié de néoclassique. Ce natif de Barcelone pourrait être taxé d’architecte de l’emphase, si ce n’était son souci du social, son goût pour l’expérimentation et l’ironie surréaliste dont témoignent ses projets.

Andrew Ayers

« La France, d’un point de vue urbanistique, a fait des choses incroyables. Elle a su tracer de grands espaces, de grands axes, des boulevards, des places qui appartiennent à la génétique française. Ça s’appelle dessiner la ville, et maintenant on ne le fait plus. » C’est par cette réflexion, avant même que je n’aie le temps d’ouvrir la bouche, que commence ma rencontre avec Ricardo Bofill Leví, l’architecte barcelonais qui, pendant trente ans, de 1970 à 2000, a été à la tête d’une des plus importantes agences françaises, et qui a durablement marqué le territoire hexagonal avec ses gigantesques opérations de logements et autres projets d’envergure à Paris, Montpellier et dans les villes nouvelles. S’il a quitté la France voici vingt ans, ce n’était nullement par dépit – « j’étais fantastiquement bien à Paris » – mais parce que son agence, le Taller de Arquitectura, « avait énormément grandi ». « Et par conséquent, je me suis retrouvé dans la position d’un gestionnaire. Je n’avais plus de temps pour réfléchir et pour créer, je ne pouvais plus faire de l’architecture », explique Bofill. C’est alors, à l’âge de 60 ans, qu’il décide de fermer tous les bureaux internationaux du Taller, « et de revenir à Barcelone pour faire une petite entreprise familiale d’une centaine de personnes ». Les agences françaises comptant en moyenne moins de cinq collaborateurs, ce chiffre aide à saisir le sens de l’échelle d’un architecte qui aujourd’hui, à l’âge de 81 ans, continue de travailler à travers le monde, de la Chine à la Russie en passant par l’Inde et… la France.

« Chacun de mes projets est un morceau d’une ville impossible. Si vous les assembliez, il en sortirait une ville. » C’est ainsi, à la manière d’un cadavre exquis surréaliste, que Bofill envisage ses soixante ans de carrière, à l’opposé d’une Zaha Hadid ou d’un Giancarlo De Carlo travaillant et peaufinant les mêmes thèmes tout au long d’une vie. « Je ne suis pas têtu : quand je vois qu’une chose ne marche plus, je la laisse tomber. Un de mes défis, c’est l’écriture de vocabulaires différents. » La première écriture sera une forme de « régionalisme critique » baléarique, incarné par une maison de famille à Ibiza, achevée en 1960 quand Bofill avait tout juste 19 ans et était encore étudiant à Genève, après avoir été expulsé de l’université de Barcelone pour ses liens avec le parti communiste catalan. « Mon père était architecte et constructeur, il a travaillé avec le Gatepac [Grupo de Artistas y Técnicos Españoles para el Progreso de la Arquitectura Contemporánea, ndlr], collaborant avec José Lluis Sert et Antoni Bonet. J’ai donc eu l’avantage de pouvoir commencer à construire très jeune. J’ai beaucoup appris de lui, mais c’était un artisan, et je pensais qu’il fallait aborder une échelle plus grande. » Le saut ne tardera pas : en 1963, le Taller est fondé et, tout en réalisant plusieurs immeubles d’appartements et autres projets dans le centre de Barcelone (qui, à eux seuls, vaudraient une belle note de bas de page dans l’histoire de l’architecture pour leur justesse), entame, à partir de 1964, la conception d’un quartier urbain entier, le Barrio Gaudí à Reus, près de Tarragone. Achevé en 1968, il exprimait un refus de la barre « corbuséenne » qui se banalisait à travers l’Europe à l’époque (« de vrais cimetières vivants »), en lui substituant un enchevêtrement sculptural de 2 000 logements reliés les uns aux autres par des cours, coursives et passerelles. […]

Lisez la suite de ce portrait en cliquant sur l’image ci-dessous.

Image : Xanadu, Alicante, 1971. Muralla Roja, Alicante, 1973 © RBTA

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