L'équipe de France victorieuse de la Coupe du monde de football 1998, sur la pelouse du Stade de France | SCAU
L'équipe de France victorieuse de la Coupe du monde de football 1998, sur la pelouse du Stade de France | SCAU

Architecture

Stade-icône et pelouse désacralisée, entretien avec SCAU Architectes

À l’occasion de leur victoire partagée avec NP2F au concours pour l’Arena de la Porte de la Chapelle à Paris le 25 mai dernier, L’Architecture d’Aujourd’hui est allé à la rencontre de Maxime Barbier, Mathieu Cabannes et Luc Delamain – architectes associés de l’agence SCAU, et Éric de Thoisy – directeur de la recherche,  pour parler architecture et sport.

Propos recueillis par Margaux Racanière

L’Architecture d’Aujourd’hui : Depuis la construction du Stade de France à Saint-Denis en 1998, SCAU multiplie les projets d’équipements sportifs en France et dans le monde. Quelles sont vos actualités ?

SCAU : Nous avons remporté en mai dernier, avec NP2F, le concours pour l’Arena Porte de la Chapelle à Paris, en association avec Bouygues Bâtiment Île-de-France. Nous sommes très enthousiastes à l’idée de construire cette salle de 8 000 places qui, en plus de servir pour les Jeux olympiques de 2024, vise à participer au renouveau du quartier de la Chapelle. Toujours pour les JO, le complexe sportif Hunebelle à Clamart pour lequel nous menons les études, devrait accueillir plusieurs épreuves en 2024.

Arena, Porte de la Chapelle, Paris © SCAU / NP2F. Perspecteur Artefactory
Arena, Porte de la Chapelle, Paris. SCAU / NP2F. @Artefactory

En juin 2019, notre projet de transformation du stade Bauer de Saint-Ouen, conçu avec Clément Blanchet Architecture et le groupe de développement territorial Réalités, a été lauréat de la compétition « Inventons la Métropole du Grand Paris 2 » ; les études sont en cours. Nous travaillons également sur deux concours de stades, l’un à Bruges et l’autre à Strasbourg [SCAU est l’une des 5 équipes sélectionnées pour participer au concours pour la restructuration du stade de la Meinau à Strasbourg].

Bauer District, Saint-Ouen © SCAU architecture / Clément Blanchet Architecture. Image Plomb
Bauer District, Saint-Ouen. SCAU architecture / Clément Blanchet Architecture. ©Plomb

Enfin, sur le continent africain, notre projet pour le stade de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire est en cours de construction. Cet équipement de 20 000 places servira pour la Coupe d’Afrique des Nations de 2023, dans la capitale administrative d’Afrique subsaharienne. À plus petite échelle, le complexe sportif de Koumassi à Abidjan a été livré en décembre 2019. Il s’agit du premier exemple d’ « Agora », un concept que nous avons conçu avec Winwin Afrique, une plateforme de développement de projets sportifs solidaires pour tous, qui vise à concevoir des équipements sportifs multifonctionnels pouvant être reproduits ailleurs en Afrique.

Vous avez opéré en 2014 la restructuration du stade Vélodrome à Marseille. Aujourd’hui, vous travaillez à la reconfiguration du stade Bauer à Saint-Ouen, projet baptisé « Bauer District ». Comment intervient-on sur un stade ou pour un club dont l’histoire est si prégnante ?

Le Vélodrome et le stade Bauer s’inscrivent dans deux contextes politiques et de clubs très différents. Le bâtiment du Vélodrome, berceau de l’Olympique de Marseille, était déjà iconique. Le défi pour nous fut de renforcer cette force symbolique du stade, de refléter la puissance du club, de la ville et de la mairie, dans une logique de « stade-icône ».
À Saint-Ouen, le Red Star Football Club est également mythique, une sorte de pendant plus populaire du PSG. Le programme de Bauer District était différent, beaucoup plus ancré dans la ville et intégrant notamment des commerces. Ce projet nous a permis de nous questionner longuement sur la manière dont la ville se diffuse dans le stade et sur leur porosité mutuelle.

SCAU. Vélodrome, Marseille © SCAU architectes mandataires. Didier Rogeon architecte associé. Photo Luc Boegly
SCAU. Vélodrome, Marseille. SCAU architectes mandataires / Didier Rogeon architecte associé. ©Luc Boegly

Souvent l’histoire d’un club est un support très riche. C’est à la fois une opportunité et un grand pari puisqu’on ne sait jamais quelle va être la réaction des supporters. Pour le Vélodrome, nous avons par exemple conçu une couverture qui soudain, cachait la vue sur la basilique Notre-Dame-de-la-Garde. C’est toujours un défi pour l’architecte de faire accepter, par les spectateurs, le geste architectural qui lui paraît le plus adapté. En vérité, cette question se pose dès lors qu’on construit pour quelqu’un, ou pour une institution, par opposition à une construction pour des occupants qu’on ne connaît pas.

Comment se manifeste « l’esprit sportif » dans l’architecture ?

Il faut garder en tête que l’esprit de club n’est pas circonscrit au club de foot. Le quartier du Bauer District était imprégné dans son apparence industrielle, dans ses briques, d’une matérialité et d’habitudes bien ancrées. Autour d’un club il y a un lieu, une vie, un quartier, lié aux fans et aux familles qui se rassemblent dans le stade. C’est pourquoi la question d’un « esprit sportif » nous semble réductrice. Il s’agit bien davantage d’un esprit du lieu. Un club est toujours situé. Cet esprit, c’est celui des gens qui y vivent. On parle de bien d’autre chose que du football.

 Bauer District, Saint-Ouen © SCAU architecture. Clément Blanchet Architecture. Image Plomb
Bauer District, Saint-Ouen. SCAU architecture / Clément Blanchet Architecture. ©Plomb

Quelles solutions architecturales et techniques pour accueillir le sport et la liesse d’un match animé avez-vous pu observer ?

Nous avons entrepris plusieurs voyages pour voir comment ces espaces autour du jeu sont organisés dans différentes cultures, avec différents moyens. Un exemple qui nous a particulièrement intéressé est celui du Mercedes Benz Stadium à Atlanta (83 000 places), construit par l’agence américaine HOK Sports Venue Event (devenus Populous). Nous y avons observé une autre façon de participer au spectacle caractérisée par le placement des salons. Certains sont placés de part et d’autre d’un passage traversé par les sportifs à leur arrivée sur le terrain. Seule une corde de velour rouge sépare les spectateurs des dieux du stade, dans un effet très théâtral. On retrouve également des salons au niveau de la pelouse ce qui ne se fait pas du tout en Europe.

Mercedes Benz Stadium, HOK, 2017
Mercedes Benz Stadium, HOK, 2017

Les Américains apprécient vraiment le jeu d’une manière différente, ils consomment et circulent beaucoup pendant les matchs. Les écrans sont omniprésents, jusqu’aux toilettes. Ce qui compte c’est d’être dans le lieu. Donc il est tout à fait acceptable de manger entre amis ou en famille et voir le match sur un écran depuis l’intérieur du stade. Cela vient vraiment questionner la manière dont on conçoit les stades.

Même si c’est aussi lié au business modèle américain, le lieu en général est moins sacralisé. Il est possible de louer les vestiaires et même la pelouse pour des événements. Les habitants peuvent ainsi s’approprier des lieux qui portent l’empreinte du club. Il y a une véritable recherche de rentabilité, dans un maximum de situations. Tout le potentiel du lieu est exploité, de la mise en scène de l’arrivée du bus sur le parvis aux vues et aux événements sur le toit. Les spectateurs viennent une demi-journée entière pour assister au match, donc ils vont manger et acheter sur place.

Quels enseignements en tirez-vous ?

Cette question de la commercialisation de l’espace du stade nous intéresse beaucoup, ainsi que les clubs eux-mêmes. Cela permettrait de pallier aux problèmes de stades qui sont fréquemment sous-occupés, délaissés. Le club Red Star pour lequel nous travaillons sur le Bauer District était très intéressé par le « business » qui peut se développer autour du stade.

La notion de stade connecté est alors une piste de réflexion importante. Les téléspectateurs sont toujours plus nombreux que les spectateurs sur place, il faut les prendre en compte. De nombreuses solutions, technologiques ou non, sont à développer pour donner l’impression d’être virtuellement dans l’arène. Ce faisant, nous étendons le périmètre de la scène qui se met à englober toutes les tribunes et même, de plus en plus, l’extérieur, les dessus du stade et même les fan zones. Nous sommes très intéressés par l’évolution des effets numériques qui permettent de mettre en avant différents espaces

Vous avez théorisé une solution aux stades que vous qualifiez d’« éléphants blancs » dans une étude intitulée « Stadium Square » : quels en sont les grands principes ?

Oui, les « éléphants blancs » sont pour nous ces stades élaborés à l’occasion de grandes rencontres internationales, des enceintes surdimensionnées conçues pour des événements courts et laissées à l’abandon par la suite, à la périphérie des villes.

Stadium Square est un projet de recherche mené pour le Qatar a l’occasion de la Coupe du monde de football 2022. Il a fallu se positionner face à une localisation jugée presque hérétique puisque peu familière avec le ballon rond la majorité de l’année. Pour compenser, nous avons choisi de prendre le problème à l’envers : nous avons pensé à l’héritage avant de penser au stade. Nous voulions créer un quartier qui durerait après les évènements de la Coupe du monde, d’où l’idée de gradins amovibles par opposition aux gradins en béton qui assignent une jauge très précise au stade.

Stadium Square © SCAU architectes
Stadium Square. SCAU architectes.

 

Stadium Square © SCAU architectes
Stadium Square. SCAU architectes
Stadium Square © SCAU architectes
Stadium Square. SCAU architectes

En s’assurant de pouvoir déplacer, désinstaller ou démultiplier les gradins, nous rappelons le côté éphémère du spectacle. C’est une autre vision du sport, qui désacralise la pelouse. Nous ne construisons plus un stade mais plutôt un quartier, organisé autour d’une place, qui devient aire de jeu, le temps d’un match.  Penser autrement ces lieux est un véritable enjeu de responsabilité environnementale. Notre étude Stadium Square visait non seulement à réinvestir les matériaux de construction mais aussi les lieux : c’est l’occasion de procéder à une « déprogrammation de nos programmes », de diversifier les fonctions d’un même projet. Le stade est encore un objet déterminé, alors qu’il doit faire partie, selon nous, de la ville de demain, flexible et moins spécifique.

Pour conclure, pensez-vous qu’une expertise technique dans la conception d’équipements sportifs est gage de réussite au tournoi Archifoot ? Êtes-vous prêts pour l’édition 2020 qui devrait se tenir au mois de novembre ?

Évidemment, et on va gagner !

 

Le site de SCAU Architectes.

 

 

 

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