Architecture

Les cas d’école de Strasbourg

À Strasbourg, les agences COSA et rhb architectes ont récemment livré la restructuration de l’INSA ainsi qu’une toute nouvelle école d’architecture, une politesse attendue par les quelque 2 000 étudiant·es, qui clarifie à la fois les espaces et les enseignements. Par ailleurs, de l’autre côté du boulevard, rhb travaille actuellement à la rénovation de l’Institut de géologie de Strasbourg, autre symbole des ambitions universitaires de la ville.


Anastasia de Villepin

Vue du bâtiment depuis le boulevard de la Victoire, vers 1969

          L’histoire urbaine de Strasbourg ne serait complète sans sa Neustadt, une « ville nouvelle » conçue et réalisée sous administration allemande (1871-1918) – aujourd’hui inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Dans l’est de ce quartier, le boulevard de la Victoire use de ses largeurs pour scinder une partie du campus : au nord, l’effort haussmannien du XIXe siècle, enclave universitaire historique, fait face aux universités nouvelles au sud du boulevard, installées dans les années 1960, aujourd’hui « Campus de l’esplanade ». De part et d’autre de ce boulevard, deux rénovations – l’INSA, achevée en 2024 et l’Institut de géologie, actuellement en chantier – signent l’adaptation de l’université au temps de sa ville.

C’est à l’orée de ce quartier germanisant que s’est installée, en 1960, l’École nationale des ingénieurs de Strasbourg, héritière de la Technische Winterschule für Wiesenbautechniker et devenue en 2003, l’Institut national des sciences appliquées (INSA). Sans doute les méandres de ces appellations et affectations auront-elles eu raison de l’édifice composite qui précéda la restructuration menée par COSA et rhb architectes. En 1960 donc, s’implantent sur ce qui deviendra un véritable campus, les premiers bâtiments de l’école dessinés par François Herrenschmidt et Jean Démaret, caractéristiques de leur époque : volumes vitrés, rectilignes, que vient déranger une entrée sculptée en porte-à-faux, surmontée d’un bas-relief allégorique d’Alfred Janniot.

Dans ce premier édifice à trois étages loge la formation des architectes, tandis qu’en retrait, un volume frère regroupe les salles de cours théoriques. Les deux bâtiments sont reliés à la perpendiculaire par un bras de bureaux abritant l’administration. Au sud, dans l’espace créé par ces trois corps en quinconce se déploient 3 800 m² d’ateliers coiffés de toit en shed de béton, métal et verre. En 1995, l’école fait place en face de son entrée à une bibliothèque et un garage à vélo, signés TOA architectes associés. Dix ans plus tard, c’est l’aile est de l’école qui se déploie, grâce à une extension le long de la rue Gaspard Monge livrée en 2005 par l’agence Rey-Lucquet atelier d’architecture.

© COSA-rhb © Florry Anne Simons

          C’est cet amoncellement d’histoire et d’enseignement (l’école entre temps s’étoffe de formations diverses, génie électrique, génie urbain, plasturgie…) dont héritent les architectes de COSA et rhb – qui furent d’ailleurs, pour certain·es, élèves de cette même école – lorsqu’ils remportent le concours en 2015 pour la restructuration d’une partie des bâtiments, ainsi que la construction d’un espace dédié à l’école d’architecture de l’institut. « On hérite d’un patrimoine qui a totalement perdu de sa lisibilité », raconte Julien Rouby, associé, avec Julie Hemmerlé et Nicolas Brigand, de l’agence strasbourgeoise rhb. « La restructuration du bâti est aussi lié à une requalification pédagogique », poursuit l’architecte, en rappelant que le hall d’entrée qui dessert aujourd’hui les différents ateliers – 700 m² depuis sa restructuration – était auparavant une immense salle d’examen avec ses tables, en rang d’oignon, aux pieds de murs aveugles.

Aujourd’hui, la réorganisation des enseignements a permis de percer la façade côté boulevard d’ouvertures qui exposent passant·es et étudiant·es. Les autres surfaces (les ateliers, les bureaux de l’administration ainsi que le bâtiment sur rue) ont vu leurs planchers modifiés, afin de faire respirer les espaces d’apprentissage et clarifier l’organisation de l’école. Les architectes se sont aussi attaqués aux circulations, jusqu’ici fortement contraintes par les agrégats du temps, et dessiné un parcours en boucle, aidés par la conception d’une rue nouvelle – « une façon de relier toutes les activités de l’INSA et de rénover l’enseignement », précisent-ils.

© Florrey-Anne Simons

Vue du bâtiment A, qui abritait autrefois les formations d’architecture.

          L’architecture bénéfice aujourd’hui d’un bâtiment dédié, posé à l’extrémité sud de la parcelle disponible. Pour y accéder, il faut donc emprunter cette nouvelle rue intérieure, tout de bois conçue, veines techniques apparentes – une flatterie non négligeable à l’adresse du travail des futur·es ingénieur·es qui, désormais, peuvent voir dans l’enceinte même de leur école, leurs enseignements appliqués. Au bout de la rue, le couloir se partage les entrées d’un atelier de génie civil et de la nouvelle école d’architecture. Élancée sur trois niveaux, celle-ci se dégage des volumes originels sans pour autant nier le dessin horizontal des années 1960. Côté rue, les bandeaux vitrées laissent voir la générosité des doubles hauteurs conférées aux ateliers, six en tout, répartis autour d’un noyau central. À l’intérieur de ce dernier, un escalier à double révolution permet de répondre à une contrainte réglementaire – deux dégagements nécessaires – sans oublier de s’adresser aux étudiant·es, dont les routes se croisent à travers les hublots percés dans les murs.

© Florry-Anne Simons © Camille Gharbi

© Camille Gharbi © RHB

De gauche à droite et de bas en haut : le hall d’entrée restructuré, la nouvelle rue intérieure, le nouveau bâtiment de l’école d’architecture de l’INSA, détail des circulations.

          Laissant l’INSA à ses élèves, les architectes de l’agence strasbourgeoise rhb rejoignent désormais l’autre versant du boulevard de la Victoire, au chevet de l’Institut de géologie. Silhouette imposante, néanmoins fantomatique, le bâtiment fut édifié en 1887 et nécessitait une réhabilitation majeure pour abriter de nouveau des salles de formation et d’expositions. Lors de notre visite, en mars 2025, l’effeuillage avait déjà commencé : dehors les ajouts malheureux des années 1970 et 1980, balayées les partitions vétustes, dégagées les circulations. Outre la rénovation des éléments constitutifs de ce patrimoine impérial (parquets en bois massif, en terrazzo ou en carreaux de ciment ; modénatures en pierre et en plâtre ; menuiserie ; radiateurs en fonte ; ferronnerie des escaliers), les architectes ont fait le choix de reconstituer les volumes d’époques, étouffés par des ajouts sauvages, en repositionnant les circulations au centre. Comme à l’INSA, les circulations sont fluidifiées.

À Strasbourg, les architectes ne se sont pas contenté·es de dépoussiérer le bâti ; à la fois concepteur·rices et médiateur·rices des espaces, les travaux de COSA et rhb illustrent, sans excès d’étiquette, le principe de « bâtiments démonstrateurs » – un fondement de l’enseignement du XXIe siècle.


École d’architecture et restructuration de l’Institut national des sciences appliquées, Strasbourg

Programme : Construction d’un bâtiment pour l’école d’architecture, création d’une rue intérieure et liaisonnements ; restructuration des espaces d’accueil (hall, cafétéria, salle d’exposition), des locaux de l’administration, des plateformes, salles de classes, atelier échelle 1:1, fablab, de l’amphithéâtre ; renaturation des espaces extérieurs : cour de service, jardin des prototypes
Maîtrise d’ouvrage : INSA Strasbourg
Architectes : COSA (Paul Perez, avec Chistophe Maignien), rhb architectes (Hugo Despeisses, Camille Duval)
Partenaires : Bruno Kubler (paysagiste) ;  Batiserf (structure) ; Nicolas Ingénieries (fluides et approche environnementale) ; Scamo Est (dépollution) : Jean-Paul Lamoureux (acoustique) ; BMF (économie)
Superficies : 2 200 m² (extensions) ; 9 500 m² (restructuration) ; 1 380 m² (espaces extérieurs paysagers)
Statut : Livraison 2024


Rénovation de l’Institut de géologie, Strasbourg

Programme : rénovation de la salle d’exposition de paléonthologie (RDJ) ; RDC Salles de formations mutualisées, salles des professeurs, espace de convivialité, accueil et sanitaires (RDC) ; Rénovation du musée de minéralogie, espace d’introduction à la visite et des salles de préparations, réaménagement de bureaux au R+1, salles de travaux pratiques (R+1) ; mise en accessibilité, mise en sécurité incendie (ensemble du bâtiment)
Maîtrise d’ouvrage : Université de Strasbourg
Architectes mandataires : rhb architectes
Partenaires : Projex (TCE); Db Silence (acoustique)
Superficies : 8 453 m² SDP (dont 1 645 m² au RDC)
Budget 5 369 000 € HT
Statut : en cours


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